A l’approche du 1er anniversaire du Hirak : le pouvoir met le cap sur la séduction
Alors que quelques jours seulement nous séparent du 22 février, jour anniversaire de la naissance d’un mouvement populaire d’une ampleur sans précédent que la vox populi a baptisé Hirak, le pouvoir multiplie les gestes de bonne volonté dans sa direction, qu’il s’agisse de décisions annoncées ou d’initiatives isolées que l’on s’explique difficilement parfois.
La sortie de prison de la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, après requalification des chefs d’inculpation et révision à la baisse de la peine prononcée à son égard à la faveur de son procès en appel devant le tribunal militaire de Blida, constitue l’un de ces gestes, qui répond partiellement à l’une des revendications fortes du Hirak, la libération de tous les détenus d’opinion.
Le juge a prononcé le verdict de trois ans de prison dont neuf mois fermes contre Louisa Hanoune pour « non dénonciation d’une réunion suspecte », abandonnant les charges « d’atteinte à l’autorité militaire et de complot contre l’autorité de l’Etat », retenues contre elle en première instance. L’accusée ayant déjà purgé sa peine de neuf mois fermes, elle a donc été libérée.
L’affaire de Louisa Hanoune, responsable d’un parti politique, est très sensible. L’on se rappelle qu’après son arrestation et sa condamnation, le pouvoir a été accusé de chercher à criminaliser l’action politique et la secrétaire générale du PT a bénéficié d’un large soutien à l’intérieur du pays et, surtout, à l’étranger.
L’énigme du tribunal de Sidi M’hammed
La libération de Louisa Hanoune intervient quelques semaines après celle, encore plus emblématique, de Lakhdar Bouregâa, l’un des derniers représentants encore vivant des dirigeants de la guerre de libération nationale et, dans la foulée, celle de dizaines de manifestants du Hirak, sur décision de différents tribunaux.
Exception faite du tribunal de Sidi M’hammed (Alger-Centre), les tribunaux concernés se sont alors inscrits dans une logique de détente, prononçant tantôt des acquittements, tantôt des peines qui induisaient la libération immédiate des manifestants du Hirak en détention.
En effet, allant à contre-courant de la tendance générale, ne craignant ni la contradiction ni la critique, le procureur de ce tribunal continuait à requérir des peines hallucinantes à l’encontre des manifestants du Hirak et les juges à prononcer des peines lourdes, souvent différentes pour des chefs d’inculpation identiques. Cela valut d’ailleurs à cette auguste institution d’être qualifiée de « tribunal d’exception » par la vox populi.
Et c’est de ce tribunal que vint, le 9 février dernier, la plus grande surprise judiciaire depuis l’avènement du Hirak. Le procureur adjoint, Mohamed Belhadi, a demandé la relaxe pour les 19 manifestants jugés ce jour-là. Et, non content de surprendre tout son monde par sa décision, il s’est lancé dans un réquisitoire contre les pressions exercées sur la justice, réclamant l’indépendance de l’institution judiciaire et des magistrats, avant de faire l’éloge du mouvement populaire de contestation et de la jeunesse qui le porte.
Saluée par les défenseurs des détenus jugés, l’attitude du magistrat n’en suscite pas moins des interrogations. S’agit-il d’une initiative personnelle consécutive à un examen de conscience ? Est-ce une attitude qui lui a été suggérée avec, comme objectif, de montrer que l’institution judiciaire s’inscrirait désormais dans une logique de détente à l’égard du Hirak ? Est-ce simplement la preuve que l’institution judiciaire est traversée de courants à la vision et aux objectifs inconciliables ?
Il est difficile dans l’état actuel des informations disponibles d’y répondre, d’autant plus que ledit procureur a été convoqué par la chancellerie pour s’expliquer sur son attitude, provoquant l’ire du syndicat des magistrats libres. Les dernières nouvelles font même état de sa mutation à Guemmar dans la wilaya d’El Oued, ce qui équivaut à une sanction. Aussi, pour l’heure, et pour longtemps peut-être, le coup de théâtre du procureur du tribunal de Sidi M’hammed restera une énigme.
Le gouvernement dans ses œuvres de séduction
De son côté, le gouvernement se lance dans une œuvre de séduction en direction du Hirak. Ainsi, le moratoire décidé sur l’exploitation controversée du gaz de schiste en attendant les résultats d’études d’impact sur l’économie et sur l’environnement répond temporairement à l’aversion provoquée par la perspective de l’exploration et de l’exploitation de gaz non conventionnel.
La question posée actuellement est de savoir si, dans le même registre, le gouvernement serait prêt à geler la nouvelle loi sur les hydrocarbures dont le rejet catégorique avait mobilisé les manifestants du Hirak des semaines durant.
Dans son plan d’action sensé mettre en œuvre le programme du président de la République et que le Premier ministre défend depuis lundi devant les députés de l’Assemblée populaire nationale, plusieurs dispositions s’inspirent des revendications populaires ou, à défaut, ne les contredisent pas frontalement.
Mais là où le Premier ministre Djerrad a sans doute fait preuve d’intelligence politique, c’est dans l’annonce d’une loi de finances complémentaire pour « corriger » certaines dispositions dangereuses de la présente loi qui porterait les germes de la division, a-t-il expliqué. Ce faisant, il a attaqué frontalement son prédécesseur, Bedoui, dont l’impopularité était à un niveau historique et dont le Hirak n’a cessé de demander le départ depuis son arrivée à la tête du gouvernement.
Il a même fait coup double en reprochant vertement aux députés de la majorité (FLN, RND, TAJ, MPA) d’avoir adopté ledit texte quasiment en l’état. Lorsqu’on sait l’aversion des Algériens à l’égard des députés qualifiés d’illégitimes et leur mépris de ces partis qui prônaient un cinquième mandat pour Bouteflika après avoir œuvré au troisième, puis au quatrième, l’attitude du Premier ministre s’inscrit clairement dans une démarche de séduction du Hirak.
Il convient de dire qu’en la matière, le président Tebboune a indiqué la voie, en particulier dimanche dernier, à partir de la tribune du sommet de l’Union africaine, d’où il annonçait devant les responsables de tout le continent qu’il entendait mettre en œuvre une feuille de route non seulement compatible, mais quasiment superposable avec les revendications du peuple algérien exprimées par un mouvement populaire qui n’en démord pas depuis un an.
Le président de la République sait, en effet, que le succès de son action à la tête de l’Etat est largement tributaire de la nature de la relation qui s’installera entre lui et le mouvement populaire qui semble décidé à durer. Avec un programme compatible avec les revendications populaires, s’il arrive à convaincre de sa détermination, de sa bonne foi et de sa sincérité, à défaut d’un soutien franc et massif de la rue, il voudrait tout au moins éviter une opposition frontale et systématique, synonyme de paralysie.
M.A.Boumendil