Argent, politique et corruption: l’affaire Ali Haddad ou les procès du régime Bouteflika
S’il est une affaire qui illustre bien l’étendue du scandale qui éclabousse les institutions de l’Etat et du mal qui a gangréné le pays ces vingt dernières années, c’est bien celle d’Ali Haddad et de son groupe, l’ETRHB. Président du Forum des chefs d’entreprise (FCE) dont beaucoup de membres importants croupissent en prison, tout comme lui, en attendant d’être jugés, Ali Haddad apparaît désormais comme le symbole de la jonction criminelle entre l’argent, la politique et la corruption.
Les dernières informations rapportées par la presse nationale nous apprennent que l’instruction de l’affaire est bouclée après de longues investigations, que le dossier aurait été transmis à la cour d’Alger et que le procès est attendu au courant du mois de mars.
Pas moins de neuf ministres, deux Premiers ministres, deux walis et plusieurs cadres ministériels sont concernés par le procès. Il s’agirait des anciens ministres, Abdelghani Zaâlane, Amar Ghoul, Mohamed El-Ghazi, Amara Benyounès, Saïd Barkat, Mahdjoub Bedda, Karim Djoudi, Amar Tou et Abdelkader Bouazghi, ainsi que les deux anciens premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal et des.anciens walis d’Alger et d’El-Bayadh.
L’affaire est tentaculaire et comporte de nombreux chefs d’inculpation tels que : «trafic d’influence», «dilapidation de deniers publics», «abus de pouvoir volontaire à l’effet d’accorder d’indus privilèges en violation des lois et réglementations», «conflit d’intérêts avec violation des procédures en vigueur en matière de marchés publics basées sur les règles de la transparence, à la concurrence honnête et de l’objectivité», et «conclusion de contrats, de marchés et d’avenants en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, à l’effet d’octroyer des avantages injustes à autrui», selon un communiqué du tribunal d’Alger cité par la presse.
Le préjudice causé au trésor public est énorme et les sommes en cause défient l’imagination, affirment des sources proches du dossier. Mais, au-delà du préjudice financier, il y a surtout le coup de grâce donné à ce qui pouvait rester de la crédibilité de nombreuses institutions de l’Etat et, en premier chef, le gouvernement qui s’était mis au service d’un groupe d’oligarques sans foi ni loi, au détriment de l’économie, du trésor public et de l’intérêt national en général.
Fini le temps des fausses pudeurs
Hasard du calendrier, au moment même où la presse annonçait l’imminence du retentissant procès impliquant de nombreux membres d’anciens gouvernements, le président Abdelmadjid Tebboune, son gouvernement, les walis et des élus sont en conclave au Palais des nations, au chevet d’une république malade des frasques de ses dirigeants qui ont livré le pays à la prédation.
Une image, qui a fait le tour des réseaux sociaux en son temps, a plané sur l’antre de Club des pins : celle de Saïd Bouteflika et Ali Haddad, imbus de leur toute-puissance, se moquant ouvertement d’Abdelmadjid Tebboune dont ils avaient scellé le sort en secret en décidant son limogeage de la chefferie du gouvernement trois mois seulement après sa nomination. Et ce, dans un cimetière, lors des funérailles du regretté Rédha Malek.
Innovant, cassant les codes même, le président Tebboune a invité les présents à suivre un documentaire réalisé par l’ENTV et montrant le dénuement total de populations vivant à l’intérieur du pays alors que des milliers de milliards de dinars d’argent public tombaient dans l’escarcelle d’investisseurs privilégiés qui ne se souciaient même pas de rembourser ces prêts bancaires faramineux.
«On a pensé à l’autoroute Est- Ouest, mais on n’a pas eu la moindre attention à ceux qui vivent en pleine misère », dira-t-il, faisant allusion au régime Bouteflika dont il entend se démarquer et qu’il condamne implicitement, évoquant la grande corruption, mais aussi celle qui sévit au niveau local et qui touche le citoyen au quotidien.
Et d’inviter les présents, en particulier les walis à tout mettre en œuvre pour rétablir les ponts de la confiance entre gouvernants et gouvernés, n’ignorant pas l’ampleur de la tâche et ne mâchant pas ses mots pour pointer du doigt les graves manquements de l’Etat et de ses représentants. Sans langue de bois et sans fausse pudeur.
Les trois procès
Qu’il s’agisse du volet judiciaire ou politique, l’heure est donc au procès du régime Bouteflika. Aux procès devrait-on dire.
Pendant que la Justice, elle-même malade de ses incohérences, organise à tour de bras les procès de ministres, de hauts cadres de l’Etat et d’hommes d’affaire enfoncés jusqu’au cou dans les scandaleux méandres de la corruption, le nouveau pouvoir, procédant par petites touches, fait le procès politique du régime Bouteflika.
Mais il est un autre procès. Sans doute le plus retentissant, le plus terrible, mais aussi le plus juste. C’est celui organisé par le peuple algérien qui a jugé et condamné sans ambiguïté non seulement le régime Bouteflika mais aussi le système qui l’a installé au pouvoir.
Ce jugement sans appel, le peuple l’a rendu le 22 février 2019. Dans quelques jours, les Algériens fêteront comme il se doit un an de mobilisation pacifique qui a fait l’admiration du monde. Un an de mobilisation pour que le verdict populaire soit suivi d’effet.
M.A. Boumendil