Avril 80: le premier projet de rupture avec le système Par Rachid Oulebsir
La pandémie du Covid-19 qui paralyse le monde entier depuis plus d’un mois, a empêché la jonction physique entre la célébration du printemps amazigh et la révolution populaire pacifique de février 2019, dite Hirak. Quarante ans après Avril 80, la révolution populaire pacifique relance le projet de société moderniste esquissé par la première révolte populaire d’Avril 80.
Le 40e anniversaire du printemps berbère survient en plein couvre-feu sanitaire ! Nous le célébrons par la réflexion et la méditation sur le fond et les valeurs portées par les périodes cruciales de notre histoire récente. Le printemps amazigh d’Avril 80 a indéniablement posé les premiers jalons de la lutte populaire pour la démocratie et déverrouillé le monolithisme du système politique installé au lendemain de l’indépendance. La capitalisation des expériences a souvent manqué, la transmission des modes luttes ne s’est pas faite dans la sérénité, mais les acquis sont là, tangibles, visibles et mesurables ! Les lignes de fracture ont bougé, le système est en train d’être reformé par les luttes populaires, notamment depuis l’avènement du Hirak de 2019
Depuis 1962, de nombreuses insurrections populaires sporadiques ont émaillé l’histoire du pays et jalonné par le sang et les larmes le parcours des luttes pour l’émancipation populaire et sa délivrance de l’étau de la dictature légitimiste alimentée par une rente pétrolière malvenue. Toutes les manifestations populaires ont été brutalement réprimées Aucune insurrection, aucune révolte populaire d’une region de notre vaste pays n’a pu déconstruire, à elle seule, le système politique aux racines historiques profondes ! Les sacrifices de la région kabyle en la matière constituent un cas d’école de ces affrontements du pot de terre et du pot de fer. Le système en place et son Etat profond ont mobilisé des ressources insoupçonnées pour circonscrire la rebelion à son aire géographique enclavée, empêchant l’irrigation du reste du pays par l’experience historique de cette région, son rejet du centralisme totalitaire, son enracinement dans la matrice identitaire amazighe et son ouverture sur l’universalité
Payer par le sang la quête de la démocratie
De la répression sanglante du printemps berbère d’Avril 1980, à celle de Mai 1981 dans la vallée de la Soummam, de la répression de la ligue des droits de l’homme de 1985, au massacre de 128 jeunes manifestants civils, précédé de l’assassinat du jeune Guermah Massinissa dans l’enceinte d’une brigade de gendarmerie et de la liquidation du chanteur Matoub Lounès, la kabylie a payé par le sang de ses enfants sur plusieurs générations succéssives sa quête de démocratie, de liberté et de délivrance de l’Algérie de l’Etat militaire construit sur l’usurpation des légitimités historiques, des combats héroiques et du sang des martyrs. La système, fidèle à ses méthodes, a atomisé le camp democratique en Kabylie, introduisant, via l’école et la mosquée, le virus de l’islamisme dans les familles, les villages, cédant l’espace public à la règle morale islamiste en lieu et place de la loi, règle juridique applicable à tous .
Le système s’est même paré des avancées démocratiques acquises par les luttes de la Kabylie comme enjoliveurs clinquants pour la consommation exterieure. En tolérant quelques expressions démocratiques, ça et là en Kabylie, le système donnait des signaux de modernisme à ses parrains interessés de l’Occident. La voie pacifique de la Kabylie a jugulé par sa permanence et son renouvellement le fonctionnement du système totalitaire. Aucune région n’a pu imiter la Kabylie dans son mode de lutte. Le Mzab a payé lourdement sa tentative d’importer l’experience kabyle. Le système y a orchestré l élimination de tous les militants activistes et tous les porteurs du ‘’germe kabyle’’. Kamel-Eddine Fekhar, l’emblème de cette lutte solitaire contre le centralisme rentier a payé de sa vie cet effort. L’appareil repressif policier et judiciaire a donné toute la mesure de son inhumanité .
Printemps amazigh et Hirak 2020 : mêmes valeurs
Le Hirak a ses racines profondes dans la révolte historique du printemps 80. Malgré la répresion des acteurs des mouvements émancipateurs, la dénaturation des messages et des valeurs portées par les revendications, malgré les processus insidieux d’extinction des foyers de révolte, la permanence des luttes a pu essaimer dans l’Algérie durant les dernières années avec les nouvelles techniques de communication et grâce aux réseaux sociaux. Le Hirak a brouillé le faisceau d’écrans idéologiques et politiques ayant ghétoisé la Kabylie. Nous avons vu dans les marches les jeunes algériens de la capitale et des autres régions adopter les slogans perennes des luttes democratiques permanentes en Kabylie, tels ‘’Pouvoir assassin ‘’ et ‘’Ulac Smah Ulac’’, et adopté les modes d’organisation horizontaux propres à la région kabyle. Le débat permanent instauré par l’élite de cette région est lui aussi devenu géographiquement contagieux ! Dans les universités de l’Est, du Centre et de l’Ouest, des clubs de reflexion et de mobillisation ont essaimé et alimenté et renouvelé la pensée révolutionnaire de la foule en marche. L’affrontement entre le projet conservateur, porté par le système politique en place, et le projet de rupture, initié en Avril 1980 et relayé par le Hirak depuis février 2019, continue.