Béjaïa: confinement des SDF, une solidarité non sélective (photos)
Les frères Ziani, connus sur la place de Béjaïa pour leur engagement permanent dans la sauvegarde de la culture populaire, viennent d’innover dans l’action sociale, en cette période sensible de lutte contre la pandémie du Covid-19, par l’ouverture d’un centre de confinement pour SDF.
La belle salle des fêtes “Vie La Joie”, sise dans le quartier Ihadaden, est ainsi ouverte depuis une semaine au confinement des sans abris sous contrôle des autorités sanitaires locales. Le “Comité-Unité-Dignité-Solidarité” ( CUDS) du populeux quartier Ihadaden suit l’opération de bout en bout.
Une salle des fêtes devient centre de confinement
Fahim Ziani, le propriétaire de la salle des fêtes “Vie La Joie” bien connue à Bejaia pour ses services haut de gamme, se confie : “En dinant en famille, j’ai pensé aux sans abris, qui n’ont pas où se confiner en ce temps pluvieux ! Dans ce contexte d’évolution rapide de la pandémie, ils constituent un danger pour eux-mêmes et pour les autres. J’ai écouté et observé si dans la ville, ils avaient une prise en charge publique, devant l’absence de structures engagées dans ce monde des démunis, j’ai décidé de mettre tous les espaces de ma salle des fêtes à disposition de ces personnes fragiles végétant dans la précarité absolue.”
Après ce coup de cœur exceptionnel, Fahim Ziani a lancé le 22 mars passé, un appel sur Facebook en direction des autorités, des associations bénévoles, des bienfaiteurs anonymes et toutes celles et ceux qui voudraient apporter son concours au succès de cette opération vitale de mise à l’abri de personnes errantes dans la ville dans une précarité indicible? constituant un danger avéré pour la santé publique.
Le confinement étant soumis à des règles strictes, M. Ziani a proposé son projet aux autorités locales (wilaya et APW). Une réunion de coordination a rassemblé au siège de la wilaya, autour du Mehenni Hadaddou, président de l’assemblée populaire de wilaya, le DAS représentant le wali, un délégué de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) et des représentants d’associations sociales. La procédure est mise en place. C’est la Direction de l’action sociale (DAS) qui devient l’interlocuteur officiel du bienfaiteur Fahim Ziani tenu de libeller une lettre-déclaration de mise à disposition de son établissement pour le confinement des personnes sans abris.
Un trois étoiles pour les sans abris
L’opération d’accueil des sans abris a donc commencé par la désinfection des lieux par les techniciens des services d’hygiène de l’APC de Béjaïa, en présence des spécialistes de la DAS, des bénévoles du Croissant rouge algérien, et des spécialistes du secteur sanitaire DSP. Le croissant rouge a fourni la literie, la protection civile s’est occupée de la sécurisation des lieux et des alentours. Des donateurs fournissent l’alimentation, les vêtements et les produits d’hygiène à la suite de l’appel de M. Ziani sur le réseau social Facebook. De nombreuses associations se sont manifestées auprès de M. Ziani pour faire des dons, signaler et accompagner des SDF, apporter de l’aide logistique ou simplement se rendre utiles.
Le circuit du SDF commence, à son arrivée, par son orientation vers le bain où il sera doté de vêtements neufs, avant d’être pris en charge par les services de santé pour une visite médicale générale au niveau de la polyclinique du quartier (les personnes suspectées porteuses du virus sont orientées vers l’hôpital pour des investigations de dépistage), le coiffeur est la dernière étape avant d’entrer en confinement au niveau de la salle «Vie La Joie». Ils sont une vingtaine de SDF retenus en confinement après avoir rempli les conditions sanitaires. “A toute chose malheur est bon”, certains sans abris voient une bénédiction dans cette pandémie ! Jamais, ils n’avaient pensé vivre dans de telles conditions, dans une salle d’hôtel trois étoiles alors qu’ils végétaient dans la rue dans le froid, la boue et l’extrême dénuement. Abdenour Ziani insiste: “Le centre accueille des sujets sains, indemnes de toute pathologie ou de contamination au corona, c’est un centre de confinement et non un centre de soin ! Les SDF malades doivent être menés vers les polycliniques et les hôpitaux.” Il va de soi que toute association voulant confiner une personne dans ce centre citoyen devra d’abord passer par les services de santé publique.
Repas chauds pour les ouvriers et les artisans de passage
Une foisqu’il a accepté les conditions de confinement, le SDF est sous bonne garde, aucune sortie n’est autorisée. “Ce n’est pas un centre de transit, mais un centre de confinement”, insiste Abdenour Ziani le frère de Fahim, l’un des animateurs de l’association du quartier issue du Hirak ! Pour ceux et celles qui hésitent et qui préfèrent encore la rue, des repas chauds sont servis à l’extérieur suivant les règles d’hygiène sous la surveillance des services de la Protection civile .
Les restaurants et les cafés étant fermés, des travailleurs d’entreprises privées n’ayant pas de cantines, des petits artisans, des ouvriers à la journée, ne trouvent pas où manger à midi. La salle “Vie La Joie” offre en plein air plus de 200 repas chauds consistants par jour. Farid Hamouche, le chef-cuisinier, a établi une liste des besoins en produits alimentaires de base. Les bénévoles du “Comité-Solidarité-Unité-Dignité” ( CSUD) du quartier Ihadaden se chargent de la collecte, de l’acheminement et du tir des dons.
L’importance des dons en volume et en variété a fait penser les frères Ziani et les membres du CSUD à offrir aux familles nécessiteuses du quartier et alentour, des lots de denrées alimentaires non périssables. Les dons de citoyens affluent. La salle “Vie La Joie” est devenue une véritable entreprise humaniste où les conditions d’hygiène sont draconiennes suivant les consignes des médecins et des scientifiques avec la vigilance de la DAS et de la DSP. L’opération confinement des SDF n’est pas une abstraction. C’est une réalité concrète adossée à des valeurs universelles que nos ancêtres nous ont transmises concrètement. Le cœur y est, les mains s’y mettent. Ici , la solidarité n’est pas sélective.
Rachid Oulebsir