Béjaïa: des conteurs dans les écoles
La 10ème édition du Festival international du théâtre de Béjaïa, qui se déroule du 15 au 20 fevrier courant, a innové par l’introduction d’un concept original. En plus des pièces de théatre, des séances de formation à la dramaturgie, des conteurs ont été invités à se produire dans les établissements scolaires, au grand bonheur des écoliers qui renouent avec la magie des légendes des ancêtres. Nous avons assisté à la première sortie de quatre conteurs professionnels dans une école de la ville .
A l’ombe de Said Mekbel
Il est 14 h ce dimanche 16 février, le temps est beau. L’école Bouaoudia, surplombant la placette Said Mekbel est propre. Mr Benbara Mohamed, le directeur nous reçoit avec le sourire. Quelques minutes auparavant un fonctionnaire de la direction de l’éducation est passé s’enquérir des préparatifs de l’école. La collaboration du secteur de l’éducation avec le festival se doit d’être fructueuse pour les enfants ! Les élèves des trois niveaux supérieurs, 3ème, 4ème et 5ème année s’installent gaiement dans la grande salle du réféctoire arrangée pour l’événement. Les quatre conteurs entrent ! Amina Mekahli, venue d’Oran, porte un grand chapeau noir, Tayeb Bouamar de Dellys une casquette de capitaine de la marine assortie avec son costume bleu de Changaî, Mounia Ait Meddour la bougiote avec sa longue chevelure, son pancho noir et son écharpe blanche et Mahi Sedik de Sidi Bel Abbes dans son ample gandoura blanche courronnée de sa longue chevelure poivre et sel, font naître beaucoup d’interrogations dans les regards amusés des enfants. Les petits devinrent qu’ils allaient passer un bel après-midi !
‘Un roi qui n’aime pas le chant des oiseaux’’
Après une présentation succincte du directeur, le premier conteur, Tayeb Bouamar, animateur professionnel, prend les choses en mains. Il introduit le sujet dans trois langues, tamazight, français et arabe derdja : “ Nous ne sommes pas des clowns, ni des magiciens, mais des conteurs de légendes, des narrateurs de rêves.” Il capte l’attention des enfants en introduisant les formules incantatoires qui ouvrent les contes chez les Tunisiens, les Libyens et les Marocains avant de s’accorder avec les enfants sur la formule magique algérienne .’’ En tamazight on dit Amachahu et en arabe algérois on dit Hadjitkoum …”
Le bonheur se lit dans les yeux des enfants captivés, ensorcelés, emportés dans un monde féérique par Tayeb Bouamar qui s’avère être un grand passeur d’émotions. Il se lancera dans le conte du petit oiseau qui donnera une leçon à un roi égoiste, teigneux dictateur, qui n’aime pas le chant des oiseaux ! Très forte interactivité ! Les enfants subjugués, entrainés dans le monde fantastique de l’oiseau qui confectionne un collier avec un grain de riz et va chanter à la fenêtre du chateau royal : ‘’ J’ai ce que le roi a “ ! Les enfants conquis repètent après l’animateur emporté lui aussi par sa performance. L’oiseau capturé sérvira de roti au roi, mais il lui restera en travers de la gorge et les oiseaux réunis viennent le libérer, lui et son chant ! Belle allégorie pour notre atmosphère de révolution pacifique. Le petit oiseau intelligent qui arrive à vaincre un roi archaique, dictateur et imbécile !
‘’La chèvre qui n’a pas peur du chacal’’
La belle performance de Tayeb Bouamar, applaudie comme il se doit par les enfants, sera prolongée par celle de Mahi Seddik qui continuera à tenir les enfants par les yeux et les mener dans le monde d’une vieille fermière et de sa chèvre qui refuse de rentrer à la maison au risque de se faire dévorer par le chacal ! C’est un conte du terroir transmis par l’écrivain Mohamed Dib dans l’un des livres de sa trilogie. Tous les éléments de la nature passeront pour alimenter l’imaginaire des enfants. De la chèvre au bâton, du bâton au feu, du feu à l’eau et de l’eau à la poule et de la poule à l’humain ! Le fils de la vieille fermière sera le grand prédateur avec son couteau qui menacera la poule, celle-ci accèpte de boire l’eau qui se lance pour éteindre le feu qui décide de brûler le bâton. Ce dernier se précipite sur la chèvre qui rentre dare-dare à la bergerie !… Le bonheur écarquille les yeux des petits complétement immergés dans les filets de Sedik Mahi, avec son personnage sorti des Mille et Une Nuits, gandoura blanche, geste ample, diction forte, déclamation euphorique, le conteur flottait et les enfants avec lui dans un nuage fantastique. Sedik offrira les enfants captifs de l’emotion à Tayeb Bouamar qui ne les laisse pas souffler.
Interactivité en devinettes sucrées
Campant le rôle de l’animateur central, Tayeb ne permet pas aux enfants de se dissiper, il les capte encore avec des devinettes. L’échange est fructueux ! Les enfants prennent la parole, se font conteurs, transmetteurs, créateurs de joie et d’émotions. Nous étions servis ! Les plus timides se lachent, approchent les conteurs, cherchent le petit geste affectif, la petite attention qui déclenche l’amitié et dissipe la crainte de l’adulte. Les enfants lancent des devinettes sur le tas, une féérie récréative, une respiration enfantine paradisiaque !
“Une énigme princière ”
Mounia Ait Medour a, elle aussi, sa méthode magique pour capter l’attention des enfants ! C’était difficile après les hautes performances de Tayeb Bouamar et de Sedik Mahi. Elle montre son recueil de contes bien illustré et pour bien suspendre les élèves à ses lèvres elle leur propose de chanter avec elle : ’’ Chantons Vava Inouva, vous connaissez tous la mélodie.“ ‘’Oui répondent les enfants conquis.’’ Et c’est parti ! Les 100 élèves, leurs enseignants et toutes les personnes présentes dans la salle entonnent le fameux chant d’Idir qui a fait traverser la Méditerranée à la chanson kabyle et conquis les cinq continents .
‘’ Txil-k eldi yin tabburt A Vava Inuva
Čenččen tizevgatin im a yeli Ɣriba ‘’
Suivit alors le conte que les enfants dégustèrent comme un bonbon.
C’est l’histoire d’un paysan qui a une fille très intelligente. Se rendant au marché dans une grande ville où règne un prince dictateur vindicatif, il n’arrivait pas à vendre ses fruits parce que le prince capricieux avait lancé une énigme dans le souk et aucun échange, ni vente ni achat, ne se pouvait se faire avant que l’enigme ne trouvat une solution satisfaisante. Trois emaines s’ecoulèrent et le paysan ne put vendre la moindre figue. Revenant du Souk, abattu, il croisa sa fille qui trouva que l’énigme n’était pas insoluble. Le prince avait dit : ‘’J’ai un arbre à douze branches, chaque branche a trente rameaux et chaque rameau a cinq fruits…” et la jeune fille d’expliquer à son papa : ‘’ L’arbre c’est l’année , les branches ce sont les mois et les rameaux les jours, les fruits sont les cinq prières de la journée .” Le paysan alla de nouveau au marché et rencontra le prince. Il finit donc par reprendre la vente de ses fruits mais le prince soupçonna que la solution n’était pas de lui. Le paysan avoua qu’il avait une fille trés éveillée qui avait des solutions à toutes les énigmes. Le prince decida de l’épouser. Les enfants étaient heureux, ils étaient suspendus aux lèvres de Mounia, la conteuse qui prolongea son conte tant que la transmission était au top.
“Le secret du livre magique”
Amina Mekahli est impressionante. Les enfants la regardent avec une curiosité mélée d’empathie ! Qu’allait-elle donc sortir de son grand chapeau noir qui coiffe si bien sa tignasse blonde ? Comment s’y prendra-t elle pour faire aussi bien que les trois conteurs precedents qui ont mis la barre très haut. Amina a ses pratiques intellectuelles, ses astuces particulières. Son conte est precieux. Il fit appel à l’intelligence des gosses. Il ne s’agit pas de prince, ni de roi égoiste et de jeune fille prodige, mais d’un petit enfant qui cache dans sa poche un livre magique qui menace de s’autodétruire, si celui qui l’ouvre n’apprend pas par coeur le conte qu’il contient ! Très subtile comme paradigme ! La sauvegarde des légendes, des contes, des poèmes, des dictons, des adages, des devinettes, qui constituent la littérature orale de notre patrimoine culturel immatériel ne trouvera pas un ambassadeur meilleur que ce livre qui oblige son lecteur à apprendre son contenu et le transmettre dans son intégralité, sinon, il s’autodétruirait et c’est la fin des contes et légendes ! Belle idée en somme en ces temps de régression, où seul un travail sur nous mêmes pourra réhabiliter la matrice de notre identité. L’identification, la présérvation et la transmission de toutes les expressions de notre littérature orale sont vitales ,voire incontournables si l’on veut arracher les cervelles de nos enfants à la littérature et à l’idéologie integristes qui en font des zombies .
Rachid Oulebsir