Béjaïa: l’université au cœur du Hirak Par Rachid Oulebsir
La communauté universitaire de Béjaïa est présente dans le Hirak depuis la première marche citoyenne anti système à Kherrata, le 16 février 2019 ! Ce sont ses étudiants et ceux de Sétif qui avaient déclenché ce séisme populaire qui fait trembler le système politique régnant depuis 1962.
Tous les mardis, tous les vendredis, le carré de la communauté universitaire, coloré et expressif, prend, parmi les milliers de citoyens, sa place au cœur des processions populaires, polarisant l’attention par sa diversité et ses mots d’ordre. Les militants les plus engagés d’Algérie se sont joints au carré : des universitaires, des avocats, des journalistes, des artistes, des détenus libérés, des féministes, des écologistes, des écrivains, des politiques, des éducateurs, des syndicalistes et intellectuels de toutes obédiences. De toute l’Algérie, on est venu marcher à Bejaia et s’impliquer dans son université populaire !
La naissance de l’université populaire
La société algérienne grosse d’une révolution, longtemps contenu par l’achat de la paix sociale avec la distribution politique de la rente pétrolière, avait vécu dans le 5ème mandat de Bouteflika l’humiliation de trop ! Cette insupportable aberration qui défie l’intelligence et le patriotisme de tout un peuple déclencha le mouvement de libération de l’homme algérien, après la libération du territoire en 1962 ! « Dés le lendemain de la marche du 16 février à Kherrata, on avait su que quelque chose d’extraordinaire allait se passer dans notre pays ! Des collègues professeurs et des étudiants de la bourgade du 8 mai 1945 parlaient de l’événement de la veille comme une sortie populaire inédite, complètement originale. La déferlante humaine sur cette haute cité des montagnes avait donné la première fièvre au Système politique régnant ! Elle avait dépassé toutes les prévisions de mobilisation », dira le mathématicien Fatah Bouhmila, professeur à l’université de Béjaïa. Et d’ajouter : « Le 22 février est venu dire ‘’Basta au Système’’ et concrétiser nos espoirs réprimés. Le ‘’Non Absolu’’ au 5èmemandat de Bouteflika, fut la première sortie unificatrice de la population ! L’université de Bejaia s’est immédiatement arrimée à cette magnifique impulsion. Des comités de discussion se sont vite constitués et des assemblées générales, regroupant travailleurs, enseignants et étudiants, ont été provoquées. Une des idées phares a été d’ouvrir l’université au nouveau-né pas encore dénommé Hirak, lui fournir un espace d’expression et de débat, un point de chute fécond dans Béjaia et sa région. Nous avions décrété les portes ouvertes de l’université à la société civile. Pour une fois ce n’était pas de la démagogie. L’université populaire de Béjaia était née ‘’
La genèse du collectif universitaire
Hakim Oumokrane, enseignant de lettres arabes, résume la naissance du collectif universitaire: « Le mardi 26 février 2019, la communauté universitaire algérienne a lancé un appel à accompagner la révolution populaire le 22 février autour des marches initiées par des étudiants. L’université Abderrahmane Mira de Béjaia a répondu favorablement par une très grande marche rassemblant, étudiants, enseignants et travailleurs. Un groupe d’enseignants se réunit au campus de Targua Ouzemour et évalua la marche de Béjaia et l’événement politique du 22 février à l’échelle nationale, se projetant dans les perspectives du mouvement. D’où l’idée de créer un collectif avec pour première mission rassembler un maximum d’enseignants et de travailleurs de l’université pour accompagner le mouvement national de libération citoyenne ». Il ajoute : « Lors des premières assemblées générales, nous avons adopté des feuilles de route de la conduite globale du collectif. Le 11 mars 2019, une déclaration politique a été diffusée au large public. Le lancement des conférences et le maintien des marches du mardi tout au long de l’été avec le soutien de la société civile malgré les vacances des étudiants »
Un exemple de l’auto-organisation
Sabrina Zouagui enseignante de lettres françaises dans cette université explique la dynamique du collectif qui anime les débats et organise le carré des marcheurs : ‘’ Notre groupe a pris le nom de ‘’ Collectif des enseignants et ATS de l’université de Béjaia’’. Nous avons insisté sur la nécessaire union entre enseignants et travailleurs de l’université. Nous faisons des réunions ensemble, nous marchons ensemble et les travailleurs s’impliquent aussi dans les conférences. Notre collectif ne représente pas tous les enseignants et tous les travailleurs : il est composé des éléments qui veulent activer dans la révolution du sourire et travailler dans un cadre organisé. Ce collectif est un exemple vivant de l’auto-organisation que nous souhaitons voir se propager partout dans le pays. Ni désignation, ni élection, le mode d’adhésion est la participation active. Dés la création de notre collectif, nous avons initié comme première action de grande envergure : la déclaration de : ‘’ L’université portes ouvertes sur la société ‘’. Nous avons organisé de nombreuses conférences ouvertes au public , invitant toutes les catégories des forces agissantes capables d’apporter un plus à notre pays : Des intellectuels dans leur diversité , universitaires, chercheurs , écrivains , journalistes , artistes , mais aussi des militants politiques , des avocats , des féministes, des militants des droits humains des écologistes . ‘’
‘’L’auditorium de l’université a abrité plus d’une vingtaine de conférences dont plus de la moitié diffusée en direct par Web -Télé », dira le professeur de mathématiques Fatah Bouhmila
Ddawla Madania Matchi Aaskarya
« L’université fut à l’origine de nombreux slogans mobilisateurs, tout en partageant les plus perti-nents à portée politique scandés par le peuple dans ses marches libératrices leur donnant la charge symbolique de l’université. « Les Généraux à la poubelle Wel ElDjazair teddi listiqlal », « Syada Chaabya Marhala Intiqalya », « Pacifique Pacifique transition démocratique » , « Ddawla Madania Matchi Aaskarya » affirme Sabrina Zouagui , ajoutant « Notre démarche visait à casser l’image négative élitiste collée à l’université, démontrer aux citoyens qu’il n’y a pas de rupture entre l’universitaire et le citoyen et qu’ils peuvent dialoguer et bâtir ensemble l’avenir de notre pays. Libérer la parole, récupérer les espaces de débat confisqués et mettre l’université au cœur du changement espéré avec les bouleversements sociopolitiques qui secouent le pays depuis le 22 février 2019. Faire de l’université cette agora où les points de vue s’échangent en toute liberté et démocratie.
Aller à la rencontre de la société.
« Nous avons procédé de deux manières : Ouvrir l’université à la société et aller à la rencontre de la société dans les villages et les quartiers. Invitation de la société civile à débattre à l’intérieur de l’université mais aussi sortir de l’université sur les places publiques des quartiers et des villages. Le bon exemple est ce retentissant débat organisé sur le parvis de la Maison de la culture avec la société civile de la ville de Béjaia la veille de l’élection du 12/12, ou encore la conférence conjointe organisée avec le Collectif universitaire ‘’NUR’’ de Annaba », explique Sabrina Zouagui. Et d’ajouter : « Les actions dont nous sommes les plus fiers sont ces conférences dans les villages sur invitation des collectifs de citoyens, en auto-organisation. Avec une forte dynamique de groupe, parfois à 4 conférenciers voire plus, nous avons cassé cette détestable image élitiste de l’université … Les villages hôtes sont très nombreux à l’instar d’Aokas, Kherrata, Amarat , Kendira , Tifra , Boukhalfa , Ighzer Amokrane… » .
Des Sous-systèmes toujours nocifs
Une université populaire libérée de la pensée unique et de la tutelle administrative était une idée révolutionnaire combattue férocement par les tenants de la pensée unique. Le collectif universitaire a subi des nuisances et des entraves de toutes natures. Le professeur Fatah Bouhmila explique : ‘’ Le recteur qui est un agent zélé du système sur la place de Béjaia a cédé l’auditorium pour nos conférences sous la pression des étudiants et des citoyens venant participer aux débats. Puis, petit à petit, ses agents ont simulé des problèmes comme les pannes d’électricité ou de connexion Internet. Nous tenons désormais nos conférences en plein air. Aujourd’hui encore, un comité constitué d’ATS et d’enseignants travaille dans la même direction ajoutant à ses activités les sorties sur les bourgs et les villages de la wilaya. La coordination avec les autres universités est une réalité » « Récemment notre collectif a rejoint la ‘’Coordination Nationale des Universitaires Algériens pour le Changement- CNUAC- ’’, créée le 11 janvier 2020. Le but étant d’impliquer et de coordonner tous les efforts univer-sitaires Hirakistes dans des actions communes et des réflexions de sortie de crise ‘’ Conclura Sabrina Zouagui.