Coronavirus: ces villages de Kabylie qui s’auto-confinent Reportage de Rachid Oulebsir
Il est de tradition sur la montagne kabyle de s’organiser au niveau villageois pour faire face à toute crise quelle que soit sa nature. Les anciennes institutions villageoises se sont adaptées aux exigences de l’heure en redéployant leurs formes tout en gardant le fond des valeurs universelles qui les caractérisent historiquement. Nous avons fait un tour dans les wilayas de Béjaïa et de Tizi Ouzou, en passant par Bouira, tous les villages et les quartiers des villes se sont dotés de comités de vigilance et de solidarité face à la pandémie du Covid-19.
Partout, une collaboration s’est installée entre les bienfaiteurs, les citoyens activistes, les structures officielles comme le Croissant rouge algérien, pour protéger en priorité les personnels hospitaliers, et tous ceux qui activent pour la santé publique. Les réseaux sociaux jouent un rôle de premier ordre dans l’information et la coopération entres comités de villages, cellules de crise et bénévoles, notamment en relayant les appels au respect du couvre-feu, du confinement et des gestes barrières de base.
Masques et combinaisons sanitaires
Dans de nombreux villages et dans des quartiers citadins, des ateliers de couture confectionnent des bavettes et des tenues de protection sous les conseils des professionnels de la santé. La première offre est toujours destinée au personnel hospitalier et tous ceux qui travaillent à la protection sanitaire. A Taguemount Azzouz , dans la commune de Beni Douala ( Tizi Ouzou), c’est la polyclinique qui sera fournie, à Bouzeggane (Azazga), dans le village Ait Saïd, les femmes se sont mobilisées en force pour fabriquer plus de 10 000 masques en un jour, promettant de porter le nombre à 40 000 , en attendant l’approvisionnement en matière viable venant d’Alger. L’Hôpital sera doté en priorité, si le produit est conforme aux normes sanitaires en vigueur. La même mobilisation est constatée dans tous les villages de la wilaya de Tizi Ouzou, à l’instar de Tala Bouzrou, dans la commune de Makouda, où le Croissant rouge algérien s’est mis de la partie pour coordonner les efforts avec les médecins privés encore ouverts, les personnels hospitaliers et les bénévoles qui aseptisent les villages.
A Tazmalt, à l’entrée ouest de la Vallée de la Soummam, plusieurs ateliers se sont mis bénévolement à fabriquer des bavettes, prioritairement destinées aux personnels des centres de santé. Le même scénario est constaté du coté d’Ighil Ali dans les villages des Bibans, dans les hameaux de Seddouk et d’At Imaouche et de Djaafra, frontaliers de Bordj Bou Arreridj, du Coté d’At Smael, Taskeriout, dans les Babors jusqu’à At Ourtirane dans la wilaya de Sétif, à Tiniri et les hameaux historiques du Massif de l’Akfadou, à Yakouren dans les villages forestiers, à Beni Ksila sur la coté Ouest de Béjaïa, tout comme à Aokas et Souk Letnine, sur la côte orientale, jusqu’à Ziama à l’entrée de Jijel. Partout donc des artisans, principalement des femmes, confectionnent des masques et approvisionnent en priorité les personnels de santé dans toutes les structures, a-t-on appris auprès des élus locaux et des bénévoles des comités de villages. Des exemples inimaginables font la realité de la solidarité populaire ! Le cas de Mme Mameri de Tizi Hmed (Tichy, Béjaïa), qui a transformé sa maison en un véritable atelier de confection de bavettes professionnelles destinées spécialement aux hopitaux de la region de Blida, est l’expression de cette humanité que nous devons retrouver. Partout, les masques et les combinaisons sont stérilisés avant l’usage.
Aseptisation des villages
En entrant dans la wilaya de Bouira, le petit village de Toghza s’est organisé pour aseptiser les véhicules entrants et prendre la température des passagers, en priant les personnes de nettoyer leurs semelles dans des pédiluves de fortune. Sur la route menant à Sidi Aissa, dans les plaines pastorales et agricoles, c’est la même pratique médiatisée et democratisée par Facebook qui est constatée sur le terrain. Dans les villages à flanc de montagne comme Selloum, menant vers Tirourda ou Saharidj, remontant vers Tikjda, des villages accrochés aux contreforts du Djurdjura, les cellules de crise sont à pied d’œuvre. On a peur du Corona. On nettoie et on consomme beaucoup d’eau de javel. Les écologistes alertent contre les atteintes à l’environnement et la toxicité de l’eau de javel pour les utilisateurs. L’aseptisation est généralisée à l’entrée des villages. Tout véhicule arrivant est nettoyé comme dans une station de lavage, mais à l’eau javellisée. C’est le premier geste barrière contre le virus.
‘’Insuffisant’ , disent certains ! ‘’Il faut se fier à l’avis des professionnels’’, disent d’autres !’’ Il faut économiser les énergies, le combat sera long ‘’, avertissent les élites loin du combat de rue. En attendant, les jeunes qui, avec les moyens du bord, se mobilisent sont à encourager et à rejoindre dans leur réalité faite de risques et de dépense d’énergie. Le nettoyage se fait aussi intra muros comme chez les At Waghlis, au dessus de Sidi Aich, où la densité de population avoisine celle de Hong Kong, les places publiques, les ruelles étroites, les murailles, sont régulièrement nettoyées et désinfectées, au savon liquide et à l’eau de javel. Les mêmes attitudes sont vérifiées dans la populeuse agglomération d’Akbou et dans tous les villages alentour. Remontant vers Chelata, nous constatons que chaque hameau s’est doté de son comité de vigilance et de solidarité. Redescendant du col Chelata vers Tabouda, passant par Sidi Hend Oudris, les bourgs des Illoula ( Bouzeggane) sont en alerte. Nous sommes interpelés par des jeunes à l’entrée de chaque village. Les barrières anti Covid-19 sont parfois installées sous un abri bus bien solide, ou sous une tente de plage. Un groupe de bénévoles bavardent autour d’une table, manipulant un registre, une petite boite à pharmacie, mangeant des gâteaux et buvant des boissons ! Les consignes de sécurité ne sont pas toujours respectées, ni la distance, ni le port du masque. Alentour, des outils de travail, principalement des vaporisateurs, des brouettes, de pelles et des pioches. Nous avons même aperçu un brancard derrière une bâche.
Les jeunes dans toute leur ferveur se sentent comme immunisés ! Ce qui n’est pas le cas ! Ça n’arrive pas qu’aux autres. A noter que le fonctionnement de ces barrières villageoises s’est amélioré depuis leur apparition à Adekar, suite aux interventions de personnes avisées, notamment par des mesures dans la protection individuelle des personnes composant ces comités de vigilance, le respect des gestes préventifs essentiels et dans la relève régulière des activistes. L’aseptisation régulière appliquée aux véhicules vides en stationnement est préférable au lavage des vehicules roulants et que l’action soit centrée ensuite sur l’élément humain, à travers les actes des professionnels de la sante.
Protéger les personnes âgées et les plus démunies
A Béjaïa, ce furent les Frères Ziani qui les premiers avaient offert leur salle des fêtes ‘’Vie La Joie’’ et leur personnel pour confiner les sans abris, en danger dans la rue pour eux-mêmes et pour la société en général. Une vingtaine de SDF de la ville fut confinée durant deux semaines dans des conditions dignes d’un hôtel trois étoiles. Le Comité Solidarité, Unité, Dignité, (CSUD) de la cité populaire Ihaddaden, issu du Hirak, était en appui logistique de l’opération. Une bonne expérience fut acquise par l’établissement qui fut relayé par l’APC par l’ouverture d’un centre de confinement communal. Du côté d’Ighil Ali, à 90 km au sud-ouest du chef lieu de wilaya, l’association féminine ‘’Haraka’’, qui regroupe plus de 5000 femmes de la région habitant sur place, dans les grandes villes d’Algérie et à l’étranger (France, Canada) envisage d’organiser des visites protégées aux personnes âgées confinées dans les maisons des vieux des grandes villes à l’instar de Béjaïa. Partout, de Kherrata à l‘extrême est de Béjaia, jusqu’à Tigzirt, sur la côte ouest de Tizi Ouzou, passant par les bourgs populeux de Bouira, l’élan de solidarité envers les personnes âgées est vérifiable dans des centaines de villages disséminées sur les crêtes de collines ou blottis dans les vallées encaissées. Des expériences identiques sont recensées dans de nombreux villages de la Soummam, des Bibans, des Babors, et dans le haut Djurdjura où l’organisation solidaire type s’est dessinée, notamment dans le village de Zouvga, dans la daïra d’Iferouāne, il y a une vingtaine d’années.
Taguemount Azzouz, un exemple d’organisation horizontale
Une assemblée générale s’est tenue au stade du village dès l’apparition de la pandémie du Covid-19 avec le respect des normes de distance sanitaire. La même structure adoptée lors des intempéries de l’hiver 2012, lorsque la neige avait bloqué tous les villages, a été reconduite. L’organisation de la solidarité est une culture dans ces montagnes. A chaque crise, une cellule de veille est mise en place. Le village est fermé. Aucun véhicule étranger n’y rentre sans autorisation du comité de vigilance. Des commissions sont immédiatement installées. La toute première qui entame le travail sur le terrain est la commission d’hygiène. Elle désinfecte les véhicules entrant au village, les seuils des maisons, les abris, les rues, les parvis et les places publiques…
La seconde est la structure de veille sanitaire composée du personnel médical (médecins et infirmiers et autres assistants). Elle prépare les lieux et la réception des malades avant leur évacuation vers l’hôpital de la ville en cas de besoin. Les funérailles et les enterrements sont encadrés, selon les normes mondiales en vigueur. Ce fut le cas de trois enterrements durant la première semaine de la pandémie.
Les couturières du village se sont occupées de confectionner les bavettes pour tout le monde et en priorité pour le personnel soignant, une forte quantité fut destinée au personnel soignant de la polyclinique locale. La commission ‘’finances et logistique’’ a, elle, pour tâche de collecter l’argent et solliciter les commerçants et industriels du village. Les émigrés sont mis à contribution. Ils ont déjà ouvert un compte pour un lever de fonds depuis une semaine pour faire face aux dépenses du confinement du village. D’autres commissions sont installées au fur et mesure que la nécessité s’impose. L’évaluation des besoins réels du village sur le moyen terme, le recensement du parc automobile et des moyens roulants, le suivi de l’alimentation en eau potable et autres nécessités de base, comme les réparations et autres opérations de maintenance. La collecte de l’approvisionnement pour les démunis, le recensement des bénévoles en cas de retour du mauvais temps… D’autres villages de la daïra d’At Dwala ont mis en place des cellules de crise similaires. Une réunion inter-comites de villages avec la participation de responsables de la polyclinique s’est tenue au chef lieu pour sensibiliser la population aux mesures barrières, notamment le confinement.
La semoule, un produit stratégique d’autonomie populaire
La ruée scandaleuse et les bousculades animales constatées lors de distributions anarchiques de semoule ne se sont pas produites dans les villages, mais dans les villes, à l’instar de celle qui s’est bruyamment déroulée à l’arrière port de Béjaïa. Parce que la cuisine algérienne en général est basée sur la semoule et que dans toutes les familles, on pétrit son pain et on roule son couscous ; la semoule permet une autonomie familiale vis-à-vis du boulanger pour le pain et de l’épicier pour les pâtes alimentaires. A ce titre, elle constitue le premier produit recherché par les familles. La semoule a disparu des magasins. Même les paquets d’un kilo, vendus au prix fort, ne sont plus sur les rayons des superettes. Chaque village a mis en place sa cellule de collecte de denrées alimentaires et d’approvisionnement en semoule. Association agréée ou simple groupe citoyen de quartier, des personnes connues ont ouvert des dépôts pour denrées alimentaires de toute nature, principalement des produits non périssables à moyen terme comme l’huile, la semoule et autres légumes secs et des produits d’hygiène à longue durée de vie, comme, l’eau de javel, les savons, le papier et les cosmétiques. Dans le gros bourg de Tazmalt, les associations de quartiers se chargent de la distribution de semoule selon l’ancienne organisation qui date de septembre 1988, lors de la grande crise de produits alimentaires qui avait suivi la chute des prix du pétrole de 1986. Le ‘’Capital organisation’’ bien transmis du temps du Mouvement Culturel Berbère (MCB) refait surface à l’occasion. ‘’Il me semble que le mouvement associatif sortira vainqueur de cette pandémie, car les expériences passées ont notoirement contribué à sa maturité, la démarcation de toute récupération politique en est le point le plus distinctif ‘’, nous confie l’activiste associatif Mohamed Salah. Partout les villageois organisent l’élan naturel de solidarité. Des milliers de couffins de produits de base ont ainsi été offert à des familles sans revenus. Dans de nombreuses cités citadines et hameaux de montagnes, l’idée de doter les familles avant le ramadhan fait son chemin en prévision d’un confinement total de longue durée.
Universités et entreprises à la rescousse
Après l’université de Tizi-Ouzou, qui a ouvert le 2 avril, le premier centre de dépistage du Corona sur autorisation de l’institut Pasteur d’Alger, voilà l’université de Béjaia qui se lance à son tour, après la levée des mesures de centralisation par le ministère de la Santé, les ressources humaines et les dispositions matérielles étant réunies. Avec cette décentralisation, le pays remobilise ses capacités et ses compétences. Le CHU de Béjaia, quant à lui, lance un appel aux personnels retraités de la santé encore en exercice dans le secteur privé, tous corps confondus, pour renouer avec l’activité et donner un coup de main dans les services hospitaliers dépassés par les conséquences de la pandémie pour laquelle nul n’était préparé. Signalons que les grandes entreprises de la région ont aidé du mieux qu’elles pouvaient par des dons de marchandises, de dotations d’outillages, d’appareillages liés à la santé et même de grosses contributions spectaculaires comme celle de la Laiterie Soummam d’Akbou qui vient de doter le CHU de Béjaia de six ambulances médicalisées, et celle de Cevital consistant en cinq cents lits avec respirateurs offerts au ministère de la Santé. Les hôpitaux en avaient réellement besoin. Notons que des professionnels de la santé, médecins, infirmiers, agents d’assistance et de sécurité sont morts pour nous protéger. La mémoire collective retiendra leur sacrifice, comme ceux des martyrs de la révolution de novembre 1954.
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