Coronavirus : des héros en blouse blanche Par Rachid Oulebsir
Ne pouvant attendre l’indispensable protection étanche contre le virus, ils sont entrés en urgence dans la bataille contre la plus dangereuse pandémie que l’humanité ait subie, un simple masque sur la bouche, une blouse ordinaire d’une dérisoire blancheur immaculée !
Ils se savaient soldats sur le front, ultimes remparts pour leurs concitoyens, ils ont un jour prêté serment, c’est n’est pas le moment de déserter ! Huit d’entre eux, à ce jour, ont payé de leurs vies leur fidélité à leur métier qui est de soigner leur peuple. Les Algériens inondent la toile de leurs hommages sincères à ces martyrs. Ces médecins bastonnés dans la rue jusqu’au sang, il n’y a pas très longtemps, sont en première ligne de défense de la patrie.
Des médecins martyrs du devoir
L’Algérie a perdu à ce jour huit médecins, un ambulancier, un infirmier et un agent de sécurité, victimes de la pandémie COVID19, dans l’exercice de leur métier. Dans une interview donnée à un confrère, Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique a dressé, la liste de ces martyrs morts dans la lutte contre le virus Corona.
Ces héros en blouse blanche sont dans l’ordre de leur disparition : ‘’ le Docteur Tilmatine, praticien généraliste à l’hôpital de Sidi M’hamed première victime du virus dans le corps médical. Il y a eu ensuite le professeur Si Ahmed, décédé au CHU de Blida, puis deux généralistes exerçant dans le privé à Blida, Dr Kebali et Dr Djama Kebir. On a aussi déploré le décès du jeune médecin Salim Latrèche de l’hôpital de Kherata, et Dr Hamoudi Abdelkrim, exerçant à l’hôpital de Bouzaréah 62 ans, à Alger (coordinateur de la maison des diabétiques à l’EPSP de Bouzaréah) mort à l’hôpital de Beni Messous. Le virus a aussi emporté deux médecins de Sétif, dont un décédé au CHU Mustapha d’Alger ». D’autres décès dans le personnel paramédical ont été recensés, notamment ‘’ le chauffeur d’ambulance de l’hôpital de Boufarik, un infirmier à Blida et un agent de sécurité à l’hôpital de Kherrata à Béjaia.’’
La priorité de la protection au corps soignant
Après plus d’un mois depuis le décès de la première victime du Corona en Algérie, le 12 mars, Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique, a encore évoqué, il y a 48 heures le manque de moyens de protection dans les hôpitaux ! « Même s’il y a une relative amélioration depuis deux semaines, nous travaillons dans des conditions difficiles, notamment dans les wilayas les plus touchées, comme Blida, Alger, Oran, Tizi Ouzou et Béjaia »
On se rappelle que dés le début de la pandémie, la population, dans toutes les contrées de notre immense pays, s’était mobilisée dans une grande agilité, mettant en marche des ateliers privés de couture, pour doter de masques et de combinaisons de protection, les polycliniques et les hôpitaux ! Des associations socioculturelles de jeunes ont même intervenu pour désinfecter les hôpitaux, comme dans le cas de l’EPH Belhocine de Sidi Aich à Bejaia. Cet élan de solidarité a pallié au plus pressé, mais les besoins sont incommensurables et les établissements de santé fort dépour-vus ! Ce manque de moyens pour l’exercice de la médecine dans le secteur public est chronique et ne date pas d’hier. La centralisation de la distribution des équipements au niveau de la pharmacie centrale a accentué l’effet de la rareté des moyens reconnue par les autorités qui ont recouru à l’importation. Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique, réagissant à la manière avec laquelle sont distribués les équipements, expliquera que : ‘’ la centralisation des équipements au niveau de la PCH fait que les établissements de santé, notamment ceux des régions éloignées, sont contraints de faire le déplacement à chaque fois que leur quota est épuisé ».
Des cabinets médicaux privés fermés
Au moment où de nombreux médecins en profession libérale apportent une contri-bution effective dans la lutte contre la pandémie en donnant le coup de main technique spécialisé aux hôpitaux , à l’exemple du docteur Allouche radiologue d’Akbou venu réparer le Scanner de l’hôpital à l’arrêt depuis son acquisition, il y a de nombreuses années, de nombreux internautes signalent la fermeture de cabinets médicaux privés dans leur village, pénalisant la population notamment dans les contrées où il n’y a ni hôpital, ni structure de santé publique. Certains médecins privés ne répondraient même plus au téléphone à leurs patients. Face à cette situation inédite le gouvernement a publié deux décrets exécutifs (2020-70 du 24 mars 2020 et 2020-86 du 2 avril 2020) « faisant obligation aux cabinets médicaux de maintenir leur activité sous peine de poursuites pénales et de sanctions adminis-tratives de retrait immédiat et définitif des titres légaux d’exercice de l’activité »
La mobilisation des retraités
Les secteurs sanitaires de nombreuses wilayas ont lancé un appel à la mobilisation des retraités de la santé publique , notamment les personnels qui ont repris l’activité dans le secteur privé . L’appel fut suivi d’effet et des unités de santé ont vu ainsi leurs effectifs étoffés pour répondre à l’urgence sanitaire de l’heure Dans le même temps Des médecins privés ont fermés leurs cabinets arguant de l’absence des moyens de protection. Au centre de virulentes critiques, soumise ainsi à la vindicte populaire avec toute la pression des réseaux sociaux, la corporation des médecins libéraux a réagi contre la stigmatisation par le biais du Syndicat national des médecins libéraux (SNML). Son président Mustapha Benbrahem, a mis en avant le « manque de moyens de protection contre le Covid-19, » affirmant que pour éviter de mettre en danger des patients en consultation et leurs familles, les médecins ont pris des mesures alternatives pour pallier à la fermeture des cabinets ! ‘’ telles la télé consultation, l’affichage des horaires de consultation et des numéros de téléphone afin d’assurer la continuité des soins et la prise de rendez-vous en cas d’urgence’’ Le président du Syndicat rappelle que , ‘’ l’Etat et les administrations concernées, seuls habilités à gérer et réguler les stocks et approvisionnements en produits pharma-ceutiques et équipements de santé (en application de la loi 2018-11 relative à la santé et son arrêté interministériel du 2 mars 2020) ont la charge de doter en matériel de protection chaque médecin libéral par un kit de protection adéquat défini par la note 15-2020 (masques FFP2 ou FFP3, visières, blouses ou camisoles, gants d’examen, bavettes trois plis pour le personnel et les patients, gel hydro alcoolique pour les praticiens et leurs patients».
Les laboratoires pharmaceutiques oublient les médecins
En cette situation d’urgence sanitaire extrême, où les médecins libéraux sont dénigrés voire intimidés, accusés par de courageux anonymes de déserter le front du combat contre le Corona ; les laboratoires pharmaceutiques qui d’habitude travaillent assidument avec les cabinets privés, se font plutôt discrets ! Cette absence est relevée notamment les praticiens de l’intérieur du pays. Le docteur Abdelhamid Khadraoui de Skikda écrit sur son mur Facebook :
« À longueur d’année et dans un esprit de confraternité sans faille nous avons reçu des visiteurs médicaux et des représentants des laboratoires pharmaceutiques. Ils nous ont pris beaucoup de notre temps pour nous faire part de la disponibilité de leurs produits et insisté pour qu’on les introduise dans nos prescriptions. Même surchargés nous ne leur avons jamais refusé l’accueil et le temps d’écoute par hospitalité et correction. Les laboratoires qu’ils représentent savent indéniablement dans quel état de dénuement nous travaillons aujourd’hui sans moyens de protection. Aucun laboratoire ou firme pharmaceutique n’a eu la présence d’esprit et l’honnêteté de nous rendre la politesse. Dont acte. »
Une population stressée
Le manque de moyens de protection n’est pas le seul responsable de ces morts répétées de nos médecins, du personnel soignant et des agents de sécurité et autre personnel d hygiène hospitalier ! L’indiscipline de la population est la source de la propagation de la pandémie. Chaque fois qu’un citoyen ne respecte pas le confi-nement et les gestes barrière contre le corona, il s’expose et expose le personnel soignant au danger mortel du virus. Dans de nombreuses régions les services d’or-dre ont du intervenir pour faire respecter le couvre-feu en vigueur de 7 h du matin à 15 h de m’après midi. La cohue et les attroupements des distributions anarchiques de semoule sont encore dans les mémoires ! L’observation des espaces de com-merces et des ruelles des quartiers populeux des grandes villes signale l’insouciance généralisée et le fatalisme face à la pandémie. A croire que dans les têtes c’est la thèse de l’immunité collective qui est choisie. Les plus fragiles paieront pour l’entêtement des plus solides ! Signalons tout de même que les logements exigus rendent le confinement insupportable pour les familles nombreuses qui en général n’ont pas les revenus suffisants pour supporter le manque d’activité dans le secteur commercial informel
Du nouveau pour les médecins
Relevant les sacrifices consentis par le corps médical dans la lutte contre le Covid-19, les hautes autorités du pays ont décidé de supprimer le service civil pour les spécialistes et de doubler le salaire des médecins travaillant dans les wilayas du Sud, tout en comptabilisant dans le calcul de la retraite comme une année pleine chaque période de deux mois travaillés comme une année d’ancienneté. Ces mesures viennent remédier à une situation décriée depuis des décennies qui a entraîné le départ de milliers de médecins vers de meilleurs cieux faisant le bonheur des pays hôtes.