Coronavirus: les paysans face au confinement Par Rachid Oulebsir
Tout comme le corps soignant, les paysans sont dans la bataille face à la pandémie, sur le front de la production qui nous nourrit ! Cette épreuve mondiale inédite arrive chez nous avec le printemps et la renaissance annuelle de la nature. De nombreux travaux de sortie de l’hiver et de préparation des productions d’été doivent être accomplis obligatoirement. Quelle réalité pour le confinement dans le monde rural ?
Dans la majeure partie des régions rurales que nous avons traversées les fellahs respectent les gestes barrières sanitaires, mais se retrouvent handicapés par le couvre-feu. La société a besoin de leurs produits, et ils n’ont de revenus que ceux que leur procure le travail saisonnier de la terre.
Des métiers de plein air
Les paysans ne sont pas face à un choix de type ou d’espace de confinement, mais à leur survie et de la notre ! Ils ne peuvent s’arrêter de produire dans leur intérêt et dans celui de toute la société. Il y va de leur pérennité. Et leur dignité leur refuse de tendre la main, à quiconque, encore moins à l’Etat, qui n’est jamais là en période de sécheresse, d’épidémies qui frappent le cheptel, d’infestations mortelles des cultures.
Voilà des pratiques sociales liées à la terre qui imposent des comportements face à la maladie. Il y a des métiers qui sont dans un lien profond avec la terre, qui s’expriment totalement dans la nature loin de tout espace confiné. Le berger qui garde son troupeau, le cantonnier qui nettoie la forêt, le laboureur céréalier avec son tracteur sur un vaste espace, ou avec une paire de bœufs sur les pentes des collines, l’apiculteur qui surveille ses ruchers, tout ce monde libre n’entend du confinement que ce qui lui parait une dramaturgie de petit écran. Le paysan est aussi obligé de vendre sa production de fruits et légumes, notamment pour les citoyens confinés dans les villes ! Certains sont visibles sur les accotements des routes nationales avec leurs camionnettes à nous proposer leurs productions. Heureusement qu’ils sont là pour nous, les paysans.
Pandémie et retour à la terre
Les écoles étant fermées, beaucoup de familles se sont réinstallées à la campagne et dans les villages de montagne. Nous avons déjà observé dans les années 2000, le phénomène de retour saisonnier à la terre de nombreux citadins lors de la récolte des olives. Les chefs de familles prenaient des congés d’hiver pour venir cueillir leurs olives. Mais ce n’était qu’un retour sporadique, que certaines familles considéraient comme des vacances.
Avec cette pandémie, il y a un retour visible à la terre. Il y a une augmentation nette du nombre de femmes et d’hommes dans les champs. Ils se libèrent de la léthargie du confinement. Beaucoup renouent avec le plaisir de la marche, et certains retrouvent les terres des parents dont ils ont oublié les limites. A coté des travaux de saison, comme le désherbage, l’épierrage, la taille des oliviers et le débroussaillage des champs abandonnés, la randonnée est aussi un prétexte d’évasion. Nous avons observé des randonneurs nettoyer l’environnement des déchets en plastique et allumer des feux pour bruler le bois mort ! Ceux qui se déplacent à pied à travers champs, ne se soucient pas du couvre-feu ! Ce qui n’est pas le cas des personnes véhiculées.
Les activités paysannes en général, comprenant l’artisanat dans sa diversité, l’élevage, l’agriculture et toutes les vitalités familiales de l’économie rurale vivrière pourront revenir progressivement sous des formes sans doute différentes des anciennes expressions si au niveau global , on encourage la décentralisation comme mode d’organisation administrative, sociale et pratique socioéconomique , ceci d’une part, et si dans chaque région, l’économie se structure autour d’une activité pivot qui induit la mise en route de nombreuses autres activités annexes . L’exemple de l’oléiculture en Kabylie est important à étudier. Une vingtaine d’activités économiques et sociales, voire culturelles, sont dépendantes du rythme de l’oléiculture et de l’oléifaction (production d’huile d’olive) en général. Toutes les activités économiques sont articulées autour de l’axe que constitue l’olivier. C’est le même phénomène dans la Mitidja avec la production des agrumes, dans les hauts plateaux avec la céréaliculture, dans les oasis avec la datte, dans les coteaux de l’ouest avec la vigne, le vin et le raisin… Il faudra encourager la formation de bassins de cultures structurantes qui pourraient donner une dynamique économique globale par capillarité et attirer des mouvements de population active et productive de valeur ajoutée.
Le terroir en déshérence
A la faveur de cette pandémie, des citadins qui se refugient à la campagne redécouvrent les produits du terroir ! La classique huile d’olive dans toutes ses qualités, la figue sèche mais aussi la caroube, les fruits exotiques, les baies de lentisques et de nombreuses plantes comestibles comme le Scolyme, le cardon sauvage, le pissenlit, et toutes les variétés de menthe, de ciboulette et autres plantes spontanées qui prolifèrent sur les bords des chemins forestiers et autour des point d’eau des maquis. On adapte sa cuisine à toutes ces petites merveilles de la nature ! On fait appel aux recettes de grand-mère. Mais tous ces produits du terroir semblent une fantaisie, les savoir-faire culturaux ont été perdus dans les espaces agricoles algériens. La création de richesse matérielle par des pratiques culturales anciennes et la mobilisation de savoir-faire locaux a montré ses limites parce qu’elle a été d’emblée happée par l’économie d’exportation ! Chaque fois que l’on relance des produits de terroirs pour exporter, ce fut un échec total ! Les savoir-faire n’ont été mobilisés pour des opérations ponctuelles, les quantités exigées par l’export n’ont jamais pu être atteintes. L’absence d’un marché intérieur a fortement sanctionné le retour du produit du terroir, qui se refugie dans le marché parallèle avec des quantités dérisoires ne pouvant pas faire l’objet d’une offre substantielle pour susciter une demande sociale. De grosses énergies ont été dépensées en colloques, en foires agricoles, en réflexions universitaires, mais l’orientation vers l’exportation a ruiné tous ces efforts. Beaucoup d’argent, qui aurait dû aller vers le financement des activités de production, fut dépensé dans les circuits de mise en valeur de produits qui n’existaient pas encore.
La labellisation des produits du terroir
A chaque initiative paysanne à la base l’Etat tente de récupérer le segment et l’échec est consubstantiel à la dépossession des initiateurs paysans. L’exemple du marché de l’olive et de l’huile d’olive lancé en 2009, par des associations d’oléiculteurs de la vallée de la Soummam, idée vite récupérée par le ministère de l’Agriculture, a capoté à cause de cette intrusion de la bureaucratie d’Etat. La valorisation des produits du terroir passera inévitablement par leur reconnaissance par le marché d’abord, la labellisation est l’une des pratiques qui met en valeur le produit du terroir et la mise sur le marché intérieur sanctionnera la qualité. Les produits potentiellement labellisables sont très nombreux dans chaque région d’Algérie.
Chaque région présente un ou plusieurs produits agricoles originaux résultant d’une activité à identifier, préserver et sauvegarder par la recréation de son environnement culturel originel et des savoir-faire qu’elle recèle. Notre propos est de dire que la labellisation en tant que reconnaissance de la valeur d’un produit agricole comme blason d’un terroir devra être découplée de l’objectif de l’exportation et d’une valorisation par le marché mondial. Nous proposons une vision tournée vers le marché intérieur comme espace de sanction de la valeur d’un produit. La labellisation interne comme reconnaissance d’une maitrise de pratiques de sauvegarde globale de la diversité agro-culturelle des régions et de la préservation particulière de l’identité agricole d’un terroir. L’objectif de la labellisation n’est pour ainsi dire pas le commerce extérieur, vues les limites objectives (superficies réduites, faibles volumes produits, nature artisanale et souvent manuelle de l’activité…), mais la relance du marché intérieur des produits agricoles par la sauvegarde de pratiques économiques et sociales autour d’un produit phare qui identifie un terroir. La labellisation n’est pas uniquement une opération commerciale mais la consécration d’un patrimoine culturel avec toutes ses dimensions immatérielles telles définies par l’UNESCO.
Dégradation de la biodiversité
Les citoyens chassés de la ville par le confinement découvrent un environnement fortement dégradé. Tout citoyen non déshumanisé le constate au quotidien. La pollution des ruisseaux et des rivières, voire de la nappe phréatique, la non gestion des déchets domestiques et industriels, l’usage inconsidérée de pesticides interdits dans les pays qui les ont même produits, tout ce climat de dégradation de l’environnement ne plaide pas à la relance de l’agriculture, ni industrielle, ni vivrière. L’accès du citoyen à une eau de qualité en quantité suffisante est apparemment non maitrisé par l’Etat. L’eau, la terre et les plantes est une relation qui s’entretient. Il y a des territoires encore sains, mais la pollution gagne du terrain et les chiffres sont alarmants. Les zones humides infestées, la faune en déclin, la disparition d’une flore qui travaillait le sol …Tout cela ne plaide pas en faveur d’un retour vers une production agricole locale, le même constat peut être fait pour l’élevage dans toutes sa variété.
Le rôle de l’Etat est à ce niveau ! Les paysans quand ils sont consultés mettent chaque partie devant ses responsabilités ! Le petit fellah doit s’atteler à la production, chacun dans sa spécialité et son savoir-faire, il ne peut réaliser de retenue collinaire, de piste agricole, de barrages, le reboisement des collines incendiées, la correction des torrents et beaucoup d’autres actions qui relèvent de l’action de la collectivité et de l’Etat. La dégradation de la biodiversité a des conséquences vérifiables sur la santé publique. La résurgence des maladies du moyen âge à l’entrée du troisième millénaire (peste à Oran en 2002, Choléra, typhoïde, et autres maladies à transmission hydrique), due à la saleté de l’environnement, est un indicateur probant. La question cruciale de l’éducation à l’hygiène est posée. L’école est directement mise à l’index.