Déclarations et décisions se multiplient : les gages du pouvoir au Hirak
Un an après l’incroyable et salutaire éclosion du Hirak, un 22 février, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et énormément de choses se sont produites dont on ne mesurera jamais assez l’importance et la portée. Sans céder à l’autosatisfaction béate, parce que beaucoup reste à faire et, surtout, à défaire, force est de constater que des changements tangibles sont survenus et que des avancées substantielles, inespérées il y a quelques mois seulement, ont été enregistrées.
Parmi les succès enregistrés, on peut rappeler que le cinquième mandat de Bouteflika n’a pas eu lieu, pas plus que le prolongement du quatrième sur lequel ont tenté de se rabattre les membres du clan et que le potentat d’El Mouradia a été contraint, en même temps que sa démission, de présenter ses excuses au peuple algérien.
Les ténors du clan Bouteflika dont Saïd, le tout-puissant frère de l’ex-président, deux ex-Premiers ministres, plusieurs ministres, tous les ex-chefs des partis de l’alliance présidentielle (FLN, RND, TAJ, MPA) sont derrière les barreaux, condamnés à de lourdes peines pour certains et en attente de jugement pour d’autres.
Ainsi, le clan Bouteflika, largement superposable à la maffia politico-financière, est décapité et l’on compte de nombreux hommes d’affaires véreux, évoluant dans son sillage, dont les plus emblématiques sont les frères Kouninef et l’ancien président du FCE, Ali Haddad, sous les verrous en attendant qu’ils rendent compte de tout le mal causé au pays et à son économie.
Il s’agit d’une avancée remarquable, même s’il convient de tempérer l’étendue du succès, sachant que même si la maffia politico-financière est décapitée, ses tentacules sont toujours présents avec, sans conteste, des capacités de nuisance considérables.
Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans le Hirak, reconnaît le président de la République dans un entretien accordé au quotidien français Le Figaro.
Le 22 février, Journée nationale : un geste de reconnaissance envers le Hirak
Dans la foulée des propos élogieux tous azimuts de l’Exécutif à l’égard du Hirak, le président Tebboune a décrété, mercredi, à une encablure de la célébration du 1er anniversaire du mouvement populaire, le 22 février « Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie », selon un communiqué de la Présidence.
« Le décret, signé par le Président Tebboune et annoncé lors de son entrevue périodique avec les médias nationaux (…), stipule que la journée du 22 février immortalisera le sursaut historique du peuple survenu le 22 février 2019 et sera célébrée dans l’ensemble du territoire national, à travers des manifestations et des activités à même de renforcer les liens de fraternité et de cohésion nationales et d’ancrer l’esprit de solidarité entre le peuple et son armée pour la démocratie », précise le communiqué.
La veille, de passage sur les ondes de la radio nationale, le ministre de la communication et Porte-parole du Gouvernement, Amar Belhimeur, a quelque peu éventé la chose en se disant favorable à la consécration du 22 février « Journée nationale », avant de se répandre en éloges pour le mouvement populaire.
Estimant que « le Hirak est un mouvement populaire autonome béni qui a sauvé l’Etat algérien d’un effondrement annoncé », le ministre a affirmé qu’ «il n’est pas question d’enfreindre (sa) poursuite (…) qui peut à l’avenir alimenter un système de veille, la naissance d’une nouvelle société civile, d’associations sur de nouvelles bases, et la refondation de la scène politique».
Affirmant que « la crise est d’abord d’essence politique », le porte-parole du gouvernement a indiqué que «l’équation politique (est) au premier rang des chantiers ouverts, à côté de la reconquête des libertés», s’agissant, entre autres, « de renouer avec le suffrage universel et de couper la relation entre l’argent et l’exercice du pouvoir».
Tebboune rend hommage au Hirak et dit s’inspirer de sa feuille de route
Sur la même longueur d’onde que le ministre de la Communication, dans un entretien accordé à la chaîne russe RT Arabi, le président Tebboune n’a pas manqué d’encenser, à son tour, le Hirak.
Pour le président de la République, c’est, en effet, le Hirak qui a sauvé l’Algérie de l’effondrement. « Il y avait des dépassements, un seul décideur et un prolongement d’une tragédie politique et le Hirak a mis fin à tout ça », a-t-il déclaré.
Quant aux manifestations populaires que continue de connaître le pays chaque vendredi, il a estimé que c’était le droit du Hirak de les organiser et que c’est même « une exigence démocratique ».
Dans son entretien avec Le Figaro, le président a affirmé que le Hirak a déjà presque tout obtenu, allusion faite notamment à la lutte contre la corruption et les nombreuses arrestations dans les rangs de personnes considérées comme intouchables jusque-là.
Pour lui, « il reste les réformes politiques », dont il fait « sa priorité ». « Je suis décidé à aller loin dans le changement radical pour rompre avec les mauvaises pratiques, moraliser la vie politique, et changer de mode de gouvernance », a-t-il promis.
Aussi a-t-il révélé que le projet de révision de la Constitution sera « prêt au plus tard, d’ici le début de l’été » et qu’après adoption par le Parlement, il sera soumis à un référendum « le plus tôt possible ».
« Le deuxième chantier », dira-t-il encore, « sera celui de la loi électorale, qui est censée parfaire nos institutions élues”, sachant que « le nouveau Parlement sera amené à jouer un plus grand rôle », ce qui signifie qu’il a besoin « d’être assez crédible et ne souffrir d’aucun déficit de légitimité pour sa représentativité”. Une des conditions pour cela, « c’est la séparation de l’argent de la politique ».
Invitant enfin à la patience, il dira que « de nombreux Algériens ont compris qu’on ne peut pas réformer, réparer, restaurer ce qui a été détruit pendant une décennie en deux mois (…) Nous sommes en train de reconstruire, mais ça va prendre du temps.(…) Commençons par tracer les contours de notre nouvel Etat sur le plan constitutionnel, puis institutionnel, puis économique », a-t-il expliqué.
Composer avec le réel
A la veille de la célébration du premier anniversaire du Hirak, l’Exécutif semble avoir accordé ses violons pour mettre en branle une communication synchrone en lançant une offensive de charme en direction du mouvement populaire.
Il veut jeter des passerelles en lui signifiant clairement qu’il n’est pas perçu comme un adversaire mais, au contraire, comme un allié précieux qui peut contribuer à l’œuvre titanesque que constituent les chantiers de la réforme et de la refondation de l’Etat.
A mots à peine couverts, le président de la République et le porte-parole du gouvernement suggèrent que des forces encore puissantes, qui ont prospéré sous les régimes précédents, sont encore sur le terrain et qu’il faut unir les efforts de toutes les bonnes volontés pour les neutraliser et réaliser cette Algérie nouvelle à laquelle aspire le peuple algérien.
La situation est telle, de toutes manières, que ni le Hirak ni le pouvoir actuel ne peuvent faire comme si l’autre n’existait pas. L’Exécutif semble avoir esquissé un pas important dans la bonne direction. Qu’en sera-t-il du Hirak ?
Un début de réponse viendra probablement dès demain, lors des manifestations qui marqueront le premier anniversaire du mouvement et qui s’annoncent grandioses. Mais il ne faut sans doute pas s’attendre à une lune de miel, car l’une des revendications centrales des manifestants est toujours en suspens : la libération de tous les manifestants incarcérés et de tous les détenus d’opinion.
M.A. Boumendil