Lahouari Addi: «Les musulmans ne connaissent ni leur histoire ni leurs sociétés»
Le sociologue Lahouari Addi met le doigt sur le mal qui continue de ronger les sociétés musulmanes. Auteur d’un livre intitulé La crise du discours religieux musulman, il a affirmé, dans une interview accordée à la revue Algérie Cultures, que le rejet de la philosophie et des sciences humaines depuis l’époque d’Al Ghazali est à l’origine de ce mal.
« Le refus de la causalité aristotélicienne fait de la science non pas une conquête intellectuelle, mais juste une innovation technique survenue par hasard. Mais si la théologie musulmane accepte la science de la nature, elle n’accepte pas la science de l’homme, notamment la philosophie qu’elle a fait disparaître dès le 12ème siècle. Ceci a entraîné comme conséquence, un climat hostile à tout savoir non religieux sur l’homme et la société. C’est ainsi que les musulmans ne connaissent pas leur histoire ni leurs sociétés », a-t-il souligné.
Selon lui, le « passé est connu à travers des mythes et des idéalisations narratives ». Mais, a-t-il ajouté, « les sources arabes du premier siècle sur la vie du prophète et ses compagnons ont été brouillées par un flot de narrations mythiques dissuadant toute recherche rigoureuse. »
Pour Lahouari Addi, le « discours religieux a pris la place du savoir sur le passé et sur le présent. » « Si ce discours ne fait que se répéter depuis des siècles et de ressasser les mêmes commentaires du passé, c’est parce que la philosophie qui introduit de la rigueur dans la pensée a été exclue de la culture musulmane », a-t-il précisé.
Ce faisant, le sociologue a affirmé que « l’islam d’aujourd’hui est otage d’une mytho-histoire et de la culture du 7ème siècle, totalement inadaptée à notre temps ». Ainsi, il estime que seule la réhabilitation des sciences humaines et sociales dans les sociétés dites musulmanes peut libérer ces dernières des dérives éthiques et politiques de l’islam.
Abordant la question de l’islamisme, Lahouari Addi a souligné, d’emblée, que celui-ci est « un courant politique et non religieux ». « C’est un produit contradictoire de la modernité. Il mobilise les masses populaires pour faire entendre leurs voix dans les institutions, mais il n’a pas d’idéologie politique pour penser la souveraineté de l’électorat comme source de loi », a-t-il conclu, rappelant que « quand quelqu’un croit parler au nom de Dieu, il devient une menace pour les autres et pour l’ordre public. »
Boualem Rabah