L’Algérie face aux grandes questions : l’islamisme est-il soluble dans la démocratie ?
Une question très peu évoquée aux débuts du Hirak est désormais posée publiquement : un péril islamiste pèse-t-il sur le mouvement populaire ? Celle-ci en appelle une autre qui s’est déjà posée dans des moments cruciaux de l’histoire de la jeune Algérie indépendante : l’islamisme est-il soluble dans la démocratie ? Alors même qu’une révision constitutionnelle est en cours, l’interrogation devient essentielle et appelle une réponse adéquate.
C’est la visite du commandant Bouregaa, Mustapha Bouchahchi et Samir Belarbi à Ali Belhadj qui a suscité un débat passionné sur les réseaux sociaux où des avis tranchés côtoient d’autres, plus nuancés. Si les réactions sur les réseaux sociaux ont été immédiates, c’est que ces trois personnes sont perçues par l’opinion publique comme des figures de proue du Hirak.
A ce sujet, l’intervention du sociologue Lahouari Addi sur sa page facebook, disponible sur le site algerieinfos.com, est intéressante à plus d’un titre et mérite qu’on s’y attarde. A défaut d’adhérer aux thèses qu’il développe, celles-ci permettent d’y apporter la contradiction et de mieux éclairer le débat.
Ainsi, le théoricien de « la régression féconde » des années 90 ne comprend pas que des Algériens soient choqués par la participation de figures du camp démocrate à « des débats sur la chaîne de télévision Al Magharibia dirigée par un des enfants de Abbassi Madani, ancien dirigeant du FIS dissous ».
Ce que le sociologue ne précise pas, c’est que ces débats, clairement orientés, ont une visée révisionniste de la dramatique histoire récente du pays et qu’ils s’inscrivent dans une démarche systématique de dédiabolisation de l’islamisme politique et de son bras armé terroriste pour charger, à longueur d’émissions, l’Armée nationale et les services de sécurité d’une manière générale. C’est le « qui tue qui » qui passe du mode interrogatif au mode affirmatif, sans coup férir.
Ce qui choque une partie de l’opinion publique ce n’est donc pas tant la participation en tant que telle de ces acteurs politiques aux débats de la chaîne islamiste, mais le fait qu’ils servent, à leur corps défendant sans doute, de faire-valoir et de caution démocratique à une œuvre programmée de blanchiment et de réhabilitation d’une idéologie meurtrière et de sa branche terroriste.
Le sociologue reconnait qu’ « il est vrai qu’au lendemain de l’annulation des élections remportées par le FIS, des islamistes ont pris les armes et ont exercé une violence militaire », avant d’affirmer qu’ « il s’est ensuite installé une période de confusion où les Algériens se posaient la question « qui tue qui ? ».
En vérité, cette question, ce ne sont pas les Algériens qui se la posaient ; c’est la création d’officines étrangères dont les thèses sont relayées, il est vrai, par des acteurs politiques convaincus que la chute du régime militaire algérien valait bien une compromission, dusse-t-elle être mortelle, avec un courant islamiste qui n’a jamais caché la nature de son projet pour les Algériens : une dictature théocratique.
Pour Lahouari Addi, « les rencontres entre islamistes et non-islamistes, dans la phase actuelle, sont nécessaires pour écrire les règles de jeu de la compétition pacifique pour le pouvoir. On ne peut pas interdire à un islamiste d’être un islamiste, mais on peut exiger de lui qu’il signe un contrat où il s’engage à ne pas utiliser la violence, à ne pas décider qui est musulman et qui ne l’est pas, à accepter que la croyance religieuse n’est pas une affaire de l’Etat ».
L’approche développée par le sociologue peut paraitre séduisante mais elle n’en demeure pas moins idyllique. Cela consisterait, en effet, à exiger des islamistes de renoncer à tout ce qui fait d’eux des islamistes ! Faut-il rappeler qu’au lendemain du premier tour des législatives de 1991, alors que l’ex-FIS se dirigeait droit vers la victoire, le sieur Ali Belhadj invitait déjà les Algériens à se préparer pour changer leurs « habitudes alimentaires et vestimentaire ? »
« L’urgence », affirme-t-il enfin, à juste titre, « est d’arriver à un consensus qui stipule que l’Etat est un bien public et que la religion (est) un bien privé ». Qu’est-ce à dire, si ce n’est que le caractère séculier de l’Etat doit être consacré par la Loi fondamentale dont une révision est précisément en cours de préparation ?
Il ne faut pas se fourvoyer. Aucune approche de la problématique intégriste ne vaut si elle ne tient pas compte de la nature de cette idéologie et des hommes et des femmes qui la portent. Aucun engagement de leur part ne peut constituer une garantie ni, encore moins, une assurance sur l’avenir. Les exemples ne manquent pas à travers le monde où les islamistes, sitôt arrivés au pouvoir, ont installé durablement leur dictature théocratique.
Alors, l’islamisme est-il soluble dans la démocratie ? Peut-être. A condition, cependant, que le caractère séculier de l’Etat soit consacré et irréversible, que les champs politique et religieux soient clairement séparés et que les institutions de l’Etat, en particulier les systèmes éducatif et judiciaire, soient protégées de l’emprise de cette idéologie néfaste.
Aussi, prétendre comme le fait Lahouari Addi que la confrontation électorale pacifique avec les islamistes constitue la voie royale pour l’Algérie, c’est courir le risque de sombrer dans une nouvelle crise dont nul ne peut mesurer les conséquences. Tout au moins si certaines conditions ne sont pas réunies, dont celles énumérées plus haut.
Il est un fait incontestable : les islamistes, quand bien même ils sont capables d’adopter des postures conjoncturelles conciliantes, ne renonceront pas à leur projet théocratique totalitaire. Ils ne le feront que contraints et forcés. Par la force de la loi.
M.A. Boumendil