Le mouvement fête son premier anniversaire: Kherrata, épicentre du Hirak Par Rachid Oulebsir
Le séisme populaire qui fait trembler le système politique algérien depuis 52 semaines a eu sa première secousse à Kherrata le 16 février 2019. Avec une fulgurance surprenante, le tremblement de terre a rallié, en une semaine, les centres urbains vitaux du pays. La grande réplique du 22 février 2019, d’une force phénoménale, sans aucun dégât matériel, a dessiné pacifiquement, un immense sourire sur le visage du peuple algérien pluriel, et instauré un contrepouvoir populaire permanent.
Kherrata a brisé le mur de la peur
Le 10 février 2019, la télévision publique reprend un communiqué de l’agence de presse officielle APS annonçant la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. La ville de Kherrata, une province de 40 000 âmes, enclavée dans la région montagneuse des Babors, tampon entre les hauts plateaux de Sétif et la côte-est de Béjaïa réagit. Une affiche appelant à une marche populaire avait été collée aux murs, d’abord dans les villages de montagne par des étudiants, puis placardées en ville ! On y lisait : « Nous appelons toute la population à participer à une marche pacifique contre le cinquième mandat et contre le système en place. Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent faire, sans réagir. »
Le samedi 16 février 2019, des centaines de personnes sont sortis dans la rue en une imposante marche serrée pour exprimer leur opposition au 5e mandat d’Abdelaziz Bouteflika, imposé et médiatisé par les partis de la coalition présidentielle articulée autour du FLN. Refusant la fatalité du « mandat de la honte », la population avait répondu à un appel de jeunes personnes crédibles, dont des médecins, des architectes, des étudiants, des enseignants, des militants culturalistes non partisans. La procession avait alors démarré à 10 heures du centre ville, drainant un millier de citoyens à dominante juvénile des deux sexes, scandant ‘’Pouvoir assassin’’ et ‘’ Y’en a marre de ce système », hissant haut le drapeau national et l’emblème amazigh, ainsi que des pancartes portant le ressenti de l’âme populaire meurtrie par plus d’un demi siècle de répression de son génie. On pouvait y lire des crédos hostiles au Pouvoir en place, comme « Système dégage » « Y’en a marre de ce pouvoir » et l’expression de la volonté populaire constructive et son besoin de changement : « Je suis algérien, je suis contre le 5ème mandat » . Pris de court, le Pouvoir ne put mobiliser les moyens de la répression habituelle ! Le mur de la peur fut désormais abattu. La voie s’est ouverte à une révolte populaire fulgurante qui se propagea en quelques jours sur tout le territoire national. La première réplique fut enregistrée le lendemain dans les Aurès, à Khenchela. Cinq jours ont suffi pour que la population libère la capitale encore sous état de siège, interdite à toute marche et regroupement populaires. La presse donna alors plus de 10 millions de marcheurs sur tout le territoire national en ce 22 février salvateur.
L’humiliation a trop duré
Toute une symbolique ! Kherrata du 8 mai 1945, berceau de la lutte anticoloniale qui se soulève comme durant la guerre de libération pour une nouvelle délivrance du joug de l’oppression ! L’accumulation depuis l’indépendance des luttes populaires de toutes formes et de toute nature s’est exprimée comme un volcan dont l’irruption était imperceptible par les plus avertis. Une lame de fond venue de très loin a trouvé la brèche dans ce « honteux 5e mandat » prévu pour un homme malade, à bout de souffle, un épouvantail utilisé par une mafia politico financière pour la reconduite d’un système de gouvernance jacobin hérité de la colonisation française. L’humiliation de trop c’était celle-là. Devant l’impossibilité de tout recours auprès d’une justice corrompue aux ordres du pouvoir exécutif omnipotent, le peuple a pris son destin en mains ! Il se souleva contre la dictature articulée sur le clientélisme politique et l’assistanat social généralisé favorisé par la rente pétrolière.
Le Hirak, un contre pouvoir populaire permanent
D’emblée le mouvement populaire qui prit le nom de Hirak, fut marqué par son pacifisme, son caractère unitaire national, et sa haute intelligence dans l’expression du rejet du système politique en place. Le Hirak qui refuse toute structuration, se renouvelle par des marches chaque semaine à la base, sur le modèle de l’auto-organisation locale.
Entre le peuple algérien qui a payé l’effort de guerre pour bouter la colonisation hors de nos frontières, et le Pouvoir héritier de toutes les légitimités, historique, religieuse, économique, la profonde fracture née à l’indépendance, s’élargit. Contre cette dictature rentière corrompue qui a dilapidé le capital d’algérianité acquis durant la guerre de libération, générant la paupérisation de la population et le sous développement chronique de l’Algérie, l’un des pays potentiellement les plus riches du monde, le peuple a trouvé dans son Hirak la voie pacifique salutaire, le contre pouvoir politique permanent.
Rachid Oulebsir