Le pouvoir face à la crise politique: les deux faces de Janus
Depuis l’arrivée d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République, le pouvoir semble vouloir mettre les bouchées doubles pour tenter de remettre le pays sur les rails. La tâche est ardue tant les crises se multiplient et se superposent dans un pays qui commence à prendre eau de toutes parts.
Crise de confiance d’abord, mais aussi crise économique et financière aggravée par les cours des hydrocarbures qui tutoient le plancher, crise sociale avec des pertes d’emplois par milliers et une inflation galopante qui réduisent chaque jour davantage le pouvoir d’achat déjà rachitique d’une grande majorité d’Algériens et atmosphère anxiogène installée par la pandémie de coronavirus se chevauchent et s’enchevêtrent dans un inextricable fouillis.
Mais, quand bien même la crise est multidimensionnelle, sa nature est fondamentalement politique. Aussi, l’attitude du pouvoir en place face au mouvement populaire du Hirak dont les revendications sont elles-mêmes éminemment politiques, polarise-t-elle toute l’attention. A vrai dire, cette attitude suscite moultes interrogations tant elle est traversée de flagrantes contradictions.
D’un côté, le président de la République affirme qu’il s’attèle à satisfaire les revendications démocratiques du mouvement populaire pour lequel il ne tarit pas d’éloges et a initié des gestes d’apaisement en faisant notamment libérer de nombreux détenus ; de l’autre, les services de sécurité continuent à procéder à des arrestations parmi les manifestants pacifiques, au besoin avec violence, pour les livrer à la justice qui continue de les envoyer en prison ! On constate même, ces derniers jours, une recrudescence de la répression policière.
Pour tenter de justifier l’attitude répressive des forces de sécurité et les nombreuses interpellations qui en résultent, le ministre de l’Intérieur fait appel à un argumentaire vieux comme l’Algérie indépendante : la main de l’étranger !
Ainsi, selon lui, des individus à la solde de pays étrangers, qui auraient pour objectif de « détruire le pays », infiltrent le Hirak et le poussent à la radicalisation. Et de citer Israël, un pays arabe et un pays européen qu’il prend soin de ne pas nommer, comme cela a été la coutume depuis le régime de Ben Bella jusqu’à celui de Bouteflika, selon le standard inamovible propre au parti unique.
Langue de bois
Incontestablement, ce type de communication nourri à la langue de bois et s’abreuvant d’insinuations, est un signal négatif qui rappelle de trop mauvais souvenirs aux Algériens et qui ne travaille pas à l’amélioration de l’image du pouvoir qui tente, pourtant, de convaincre de sa volonté de changer.
Comment expliquer cette attitude ambivalente au sein d’un même pouvoir au moment même où le besoin de clarté et de lisibilité de sa vision et de son action est crucial, si tant est que l’objectif est de renouer un tant soit peu avec la confiance perdue depuis longtemps entre gouvernants et gouvernés ? Deux thèses opposées mais aussi invérifiable l’une que l’autre peuvent être émises.
La première voudrait qu’il s’agisse d’un partage des rôles concerté au sein du pouvoir. L’objectif en serait alors évident : gagner du temps afin de régénérer un système décrié par le peuple algérien, quitte à en ravaler grossièrement la façade.
La seconde, suggérée notamment par le ministre de la Communication et porte-parole de gouvernement, indiquerait que le pouvoir, en pleine mutation, ne serait pas homogène et qu’il existerait en son sein des forces de résistance qui œuvrent à entraver le chantier des réformes voulu par le président Tebboune et politiquement compatible avec les revendications populaires.
L’enjeu est faramineux et le besoin de clarification est plus que jamais à l’ordre du jour. Il appartient alors au président de la République, à travers un message et des gestes clairs, qui ne souffrent d’aucune ambiguïté, d’identifier ces « forces de résistance » et d’organiser leur anéantissement. Sans quoi le climat de défiance qui s’est installé entre les Algériens et le pouvoir pourrait s’éterniser avec, à la clé, une issue incertaine.
M.A. Boumendil