Littérature: Trudi Ralston, une américaine dans le Djurdjura Par Rachid Oulebsir
Trudi Ralston, auteure et poétesse américaine, qui se sent exilée en Amérique, est tombée amoureuse de l’Algérie. Son élue s’appelle Kabylie !
Dans l’immensité silencieuse de la montagne, sillonnant les routes étroites à travers la multitude de coquets villages accrochés dignement à la lande ingrate, nous avons fait les guides culturels à l’écrivaine et son mari durant une journée dans deux villages de Béjaïa et de Tizi Ouzou.
Notre première destination fut la vieille cité inhabitée de Djebla, à Beni-Ksila, juchée sur une crète vertigineuse, avec ses maisons d’architecture berbère antique sauvegardée et protégée par la population locale. Le gros bourg d’entre deux rivières Iuersafen, enfoui en pleine forêt de Yakouren, qui a gagné le concours du village le plus propre du Djurdjura fut l’objet de notre seconde visite.
Nous proposons à nos lecteurs, à travers les mots recueillis en cours de route, l’esquisse de la personnalité de cette femme d’une haute sensibilité, une citoyenne du monde, œuvrant à la protection de la nature et partageant son bonheur avec les plus humbles.
« Les montagnes de Kabylie m’aident à déconstruire mon exil américain »
« Les montagnes de Kabylie me rappellent tout d’abord une période heureuse de mon adolescence, quand mon père nous emmenait en vacances en Autriche pendant l’été, pour faire des randonnées dans les montagnes du Tirol, près d’Innsbruck. Ce sont parmi mes souvenirs les plus précieux d’une vie qui a connu beaucoup de tumulte et de tragédies familiales. Les montagnes en Kabylie me rapprochent de ce bonheur, de cette période ou l’innocence et l’espoir étaient abondants dans ma vie. Je suis fascinée aussi par le lien entre les montagnes et la mythologie berbère et l’histoire des hommes. Les montagnes sont les esprits gardiens des hommes et de leurs luttes pour la dignité et la liberté. »
« J’ai grandi en Belgique ; je suis flamande d’origine, et il y avait une présence tangible de la culture nord-africaine, à l’orée de l’Indépendance algérienne, qui avait vu un afflux de familles vers la France, mais aussi vers la Belgique. Dans mon village natal, un petit village flamand, il y avait plusieurs familles algériennes qui me fascinaient comme enfant curieuse et précoce. Ces familles souffraient du racisme, de l’isolement social et économique. Cela me troublait profondément. J’étais envoûtée par les musicalités de leur langue, leur apparence belle et originale pour moi, et cela m’a ouvert un intérêt, une fascination envers l’Afrique du Nord. Cela m’est restée et fait partie de moi depuis l’enfance. »
Trudi Ralston, une haute solitude américaine !
Trudi est une écrivaine prolifique qui a pris la plume dans son jeune âge : « Depuis 1988, je vis avec mon mari américain à Olympia, à Washington State, avec notre fils, Nicholas, qui a 27 ans, et qui lui aussi est écrivain. Je suis flamande, née près de Brugge, la capitale de la partie ouest-flamande du pays. Ma grand-mère paternelle était française, d’Amiens. Elle m’avait inculqué un intérêt grandissant pour la langue française, et mes premiers poèmes furent écrits en français. »
« J’ai pris ma première plume à l’âge de 17 ans, en Belgique. J’ai fait mes études universitaires au Texas, où j’ai obtenu une maitrise en littérature espagnole et latino-américaine de l’Université de Texas, située dans la capitale, Austin. Mes premiers ouvrages furent en anglais. J’ai publié ” Lioness in Exile ” ( Une lionne en exil) en 2015, une mémoire de ma vie et ma lutte pour retrouver mon identité culturelle d’écrivaine et poétesse. Cet ouvrage compile 365 articles et poèmes. Suivirent ensuite des collections de poèmes, également en anglais, ” Solo Flight “, et ” Through the Center “, et ” The Long Way Home “. Ce sont des publications qui nomment la solitude et habillent l’isolement culturel que je ressens envers les Etats Unis, malgré plus de 40 ans de vie dans le pays.
« Les chansons d’ Idir m’ont ouvert le chemin du retour vers la culture africaine »
Quand la montagne prend la parole, c’est en musique qu’elle s’exprime et la poètesse américaine a le don d’écouter la montagne rire et pleurer : « J’ai quitté la Belgique à l’âge de 19 ans, pour aller étudier aux Etats Unis. Un jour une copine française m’a introduit à la musique du grand chanteur kabyle, Idir. De la pure magie ! Des sonorités qui me tenaient la main et m’emmenaient dans mon enfance en voisinage de toutes ses familles exilées après la guerre d’indépendance algérienne. C’était comme si mon âme et mon cœur s’étaient donnés un chemin de retour, vers une identité culturelle, intellectuelle retrouvée. La musique d’Idir fut une révélation intense, je me sentais attirée complètement, submergée, et cela m’a menée à apprendre sur la culture kabyle dans sa diversité. Ces sonorités viennent de l’âme des montagnes. » « Ces musiques touchent le fond, l’essence de mon être et elles me manquent avec une intensité qui me surprend chaque fois. La rencontre avec les photographes de la nature d’Aokas a changée ma vie de poète, d’écrivaine. C’était extraordinaire, cette joie de me sentir chez moi, de ressentir un intérêt et inspiration passionnels envers l’Algérie, sa culture, son histoire, sa nature, sa mythologie. Je suis complètement amoureuse, impossible de résister. C’est un amour de cœur, d’âme, profond, décisif. Je veux retourner dans ces montagnes, apprendre d’elles encore, de leur sagesse, de leur permanence, de leur beauté. Elles ont un pouvoir sur moi qui relève de la magie. C’est magnifique. Je veux partager toute cette magie avec le monde à travers mes poèmes et mes articles, mes livres, en reconnaissance aussi pour la joie immense qu’elles procurent à mon cœur, à mon âme, à mon être d’écrivaine et de poète. »
« Mon inspiration féconde dans les Babors »
En visite à Aokas en 2017, Trudi Ralston découvre la photographie de la nature avec le photographe Djamil Diboune ! « Ce fut le coup de foudre spirituel, culturel, qui a inspiré mes livres sur son art. ” Une Encyclopédie de Beauté “, paru aux USA en mars 2018, et ” Le Secret Heureux d’Ulysse ” paru en décembre 2018. Un troisième livre est un recueil de poèmes, avec en couverture une toile figurant une maison kabyle du même photographe : ” La Complicité du Corbeau ” de septembre 2018. D’autres personnes lumineuses m’ont ouvert l’âme et le cœur pour créer de beaux ouvrages :
Il y a “Poésie et Passion dans la Photographie de Katia Djabri “, d’octobre 2018, et ” Magie et Mystère ” de mars 2019, sur la photographie de la nature de Lotfi Bouslah, Kurt Lolo de son nom d’artiste. ” Empreintes Berberes ‘’ paru en mai 2019 relate les marches ‘’ Sur le Sentier de l’Histoire avec les Randonneurs des Babors ” . Tous mes ouvrages sont disponibles sur Amazon, en livres de poche et en e-book
« La découverte de la nature et de l’histoire de l’Algérie est l’un des plus beaux moments de mon parcours universel. Ayant été une exilée culturelle pour la plus grand partie de ma vie, les photographes de la nature que j’ai cités, m’ont ouvert l’âme et le cœur, m’ont permis la renaissance de mon esprit comme écrivaine et poète. Ce fut la brèche du barrage, comme je l’ai décrite dans un poème du même titre, dans mes livres sur la photographie de Djamil Diboune. La beauté de la nature en Algérie, m’a aussi ouvert une fascination pour la culture berbère, pour le lien intense entre la nature et l’histoire. »
« Algérie mon cœur » est mon prochain livre mais pas seulement »
L’écrivaine américaine nous révèle qu’elle travaille sur des ouvrages qui ont pour objectif de faire connaitre l’Algérie en Amérique : « En ce moment, je travaille sur un livre de prose et poèmes, ” Algérie, Mon Coeur “, qui a son inspiration en partie du séjour magnifique que j’ai fait en Algérie, en Kabylie, en septembre 2019. Il sera prêt pour publication avant mai 2020. J’ai aussi en tête un livre qui serait un recueil de témoignages auprès de personnes qui se rappellent l’impact de la colonisation française et de la Guerre de l’Indépendance sur leurs vies. Cette idée me fut inspirée par ” Le Visage peu féminin de la Guerre’’ , le livre de l’écrivaine bélarusse Svetlana Alexievich “, paru en 2017, pour lequel elle a reçu le Prix Nobel de littérature. C’est un recueil de témoignages de femmes guerrières russes de la Première Guerre Mondiale, un récit profondément émouvant qui révèle la vie et l’impact intérieur sur ces femmes qui étaient des adolescentes ayant survécu aux horreurs de cette guerre monstrueuse. L’idée d’écrire un livre avec pour base des mémoires personnelles quant aux guerres récentes en Algérie, me parait très important, car il y a trop d’histoire en Algérie que le monde doit absolument connaitre quant a la brutalité de la colonisation française, et quant à la complexité de la ‘’Décennie Noire’’ et ses répercutions jusqu’à aujourd’hui. »
Un rêve en offrande à Trudi Ralston
Lors de cette journée passée dans les villages de montagnes, nous avons renoué avec l’âme des ancêtres, nous avons réveillés les mémoires et écouté assidument le murmure du silence. Trudi Ralston, la poètesse, l’amoureuse de la Méditerranée, sait que la tradition de l’hospitalité algérienne est une valeur sûre en Kabylie et partout dans les autres régions de notre pays continent. A son prochain séjour, nous lui offrirons un rêve : celui de planer sur une musique lointaine d’Idir, une flûte de berger des collines qui chante comme une sitelle de Kabylie, un oiseau rare plus beau que le guêpier, sur les cimes des Babors couronnées de cumulus blanchâtres qui mouillent leurs pieds dans la méditerranée ! Nous lui proposerons un envol avec les derniers aigles au dessus des pics du Djurdjura enneigés qui de leurs doigts fouillent les nuages inquiets ! Nous verrons du ciel les milliers de villages sertis comme des perles précieuses en colliers évanescents sur les crêtes dentelées par la lumière, nous nous égarerons comme Si Mohand Ou Mhand, le poète inspiré sur l’infinie succession des vallons boisés dans l’immensité de l’Akfabou, nous glisserons comme des hirondelles entre les chauds défilés septentrionaux des Bibans suspendus au vertige ! Nous crapahuterons en randonnées fraternelles dans les contreforts verruqueux d’At-Wartirane, remontant vers les hauts plateaux du lointain sétifois. Nous ouvrirons pour cette poètesse exilée, une féerie montagneuse qui l’emportera vers son enfance, son adolescence dans les montagnes du Tirol, près d’Innsbruck, en Autriche, une période heureuse de sa vie lestée d’innocentes espérances.