Patrimoine: oléicuture, le temps de la taille Par Rachid Oulebsir
La cueillette des olives est finie. Le souper rituel sanctionnant une récolte bien menée a réuni les familles, les voisins et contribué à ressouder les liens villageois. Quelques moulins modernes munies de laveuses automatiques continuent ça et là la trituration des dernières olives bien racornies par le soleil, le vent et la poussière. Les marchands d’huile vont et viennent entre les moulins et la ville. Les paysans se reposent. Certains s’adonnent aux soins ordinaires et routiniers.
Dans les régions du littoral , tout autour de Bgayet, la taille des arbres qui ont donné des fruits cette année a commencé. Les élagueurs entrent en activité dans les olivettes au début du mois de février après les trois jours de quarantaine dits « Laâzla » dans l’éphéméride Kabyle, durant lesquels il est déconseillé de toucher à la végétation. « Mirghan » est le nom de la semaine qui suit cette période inféconde. Des journées de gelées matinales où le givre brûle le tapis végétal. Les jeunes rameaux des citronniers, des pêchers et des abricotiers qui ont eu le tort de fleurir trop précocement sont réduits en cendres.
Afras , les semaines de l’élagage
La taille dure près de trois mois. Les oliviers sont élagués du 1er Yennayer, jour de l’an Amazigh, qui coïncide avec le 12 janvier, jusqu’à la mi-avril. Après ce moment charnière, la sève remonte dans les branches et les rameaux. La végétation se réveille. L’écorce se détache alors facilement de l’aubier et toute coupure des branches peut générer des coulées de sève nuisibles à la croissance de l’olivier. C’est le temps de la greffe. De grands noms du métier d’élagage ont marqué la mémoire régionale. Les spécialistes de Rodha, hameau de la commune de Tazmalt, passent pour les meilleurs. Achour Ouamara demeure la référence et l’héritier du savoir-faire pratique des fellahs d’antan.
« Il ne faut pas tailler trop tôt pour éviter la repousse des tiges gourmandes, et pas trop tard pour se prémunir des effets désastreux de la sécheresse » conseille Haddad Younes, le pépiniériste de la ferme expérimentale d’Allaghane. La durée de la taille est marquée par de rapides changements atmosphériques. Les journées de Mighnan, souvent ensoleillées, sont précédées par la redoutable journée d’Aretal qui est la dernière du mois de Yennayer. Elle est souvent grise et glaciale comme le veut une légende tenace narrée sous tous les toits des Touder, les villages kabyles blottis dans les contreforts méridionaux du Djurdjura depuis les temps immémoriaux.
Aretal, la journée légendaire
Dans la cosmogonie berbère, cette journée aurait été prêtée par le mois de Fourar (février) à Yennayer (Janvier) pour que ce dernier lavât l’affront que lui aurait fait Baouz, une chèvre fort belliqueuse. L’indélicate l’aurait insulté en lui faisant remarquer sa douceur inhabituelle et qu’il devra attendre toute une année pour régner de nouveau sur la nature, il devait ceder le ciel à Fourar !
« Tu partiras sans m’avoir causé un seul frisson » lui aurait elle reproché. Yennayer sollicita Fourar qui lui prêta un jour de sa trentaine. Il lâcha alors les foudres du ciel et le froid tua l’insolente chèvre Baouz . Depuis cette époque, durant le dernier jour de Yennayer un froid insoutenable oblige, tous les caprins à rester au chaud dans leur bergerie.
Amenzou-Tefsout, premier jour du printemps, clôt la semaine des journées instables dites Iâazriyen le 28 février. Suivent alors Tizegaghine, les dix journées rouges, qui se terminent par les giboulées du mois de mars dénommées Timgharine (vieilles capricieuses). Durant toute cette période les tailleurs exploitent les moments où les arbres ne sont pas mouillés pour opérer la coupe et l’élagage. Vers le 14 avril, se termine la durée instable précédée par les deux semaines de Ledjwareh, et de Swaleh. Imheznen, les sept journées tristes, mettent fin à l’instabilité climatique.
On taille l’olivier pour qu’il produise mieux et plus. Quand l’arbre est jeune, on lui constitue sa charpente. S’il est vieux on le régénère par la taille. On fait alors une restauration par deux opérations : le ravalement qui diminue la taille des branches charpentières ou bien le recépage qui consiste à rabattre la totalité de l’arbre à une faible hauteur au dessus du sol et lui permettre un nouveau démarrage. Quand l’olivier est en pleine production et qu’il a besoin d’une taille d’entretien, on pratique alors la taille de fructification. Deux méthodes se disputent les faveurs des professionnels : la taille traditionnelle dite taille en pendouiller et la taille d’éclaircissage ou taille en cascade.
Dans les deux cas les élagueurs s’accordent sur un certain nombre de règles résumées par Achour Ouamara, tailleur attitré dans la haute vallée de la Soummam :
« Il faut couper toutes les pousses verticales improductives ainsi que le bois ayant porté des fruits cette année pour favoriser les nouvelles branchettes fructifères. Éclaircir l’intérieur de l’olivier en gardant un maximum de feuillage pour le minimum de bois. Couper les branches qui se croisent et se concurrencent. Veiller à sectionner le rameau toujours à la base et ne pas laisser de chicots ».
Les élagueurs professionnels savent que l’olivier fructifie sur le bois de l’année précédente. Aussi tailler l’olivier c’est lui permettre de développer des rameaux de remplacement qui porteront les fruits de l’année suivante. L’olivier de Kabylie est marqué par la fructification bisannuelle. Les arbres produisent une année sur deux. Certains oléiculteurs préfèrent la taille annuelle pour avoir des olives de qualité sacrifiant la quantité. D’autres taillent toutes les deux années pour permettre à l’arbre de se reposer un an et développer de nombreux rameaux fructifères l’année suivante. La sécheresse de cette dernière décennie a obligé les paysans à espacer encore le temps de la taille. Certains ne touchent aux oliviers qu’après trois ans de production. Les paysans savent néanmoins que la taille influe directement sur la qualité de l’huile : les oliviers bien taillés donnent une meilleure huile.
Tailler , c’est soigner
La taille mal effectuée engendre des maladies dans les oliveraies, aussi le bon élagueur se doit-il de stériliser les outils de taille en les trempant régulièrement dans de l’eau de Javel ou en les maintenant quelques minutes sur une flamme. La scie à élaguer, le sécateur, la hachette sont des outils métalliques faciles à nettoyer. La tronçonneuse peut être trempée et lavée à l’aide d’un simple pinceau. Avourmel, le neïroun, est une maladie dangereuse qui se développe après une taille effectuée à un moment malvenu ou avec des outils infestés. On remarque facilement cette maladie qui se manifeste par de petites boules de sciure sortant de petits trous le long des rameaux malades. L’insecte est à l’intérieur du tronc, il provoque le dessèchement des branches.
Les anciens paysans recouraient au feu. Ils brûlaient tous les résidus de la taille et stockaient le gros bois de chauffage loin des oliviers. Des produits chimiques existent dans le commerce pour venir à bout du parasite en cas d’infestation. Dans ce domaine de la prévention, les règles empiriques de conduite contenues dans le calendrier agraire amazigh constituent un véritable guide culturel. Le nettoyage du bois de taille après la période d’élagage est l’une de ses règles fondamentales. Il faut brûler les branchages et les buissons et stériliser le matériel de taille en passant d’un arbre à un autre et surtout ne rien laisser sous l’olivier. Après la courte période de la taille, démarre celle des labours d’hiver, avec l’épandage des engrais et la protection contre les parasites connus.