Portrait: Katia Bengana, éternel symbole de liberté Par Rachid Oulebsir
Durant les mois de janvier et février 1994, treize femmes ont été assassinées par la horde islamiste pour imposer la terreur en Algérie et répandre le modèle islamo-intégriste dans le pays d’Afrique le plus disposé à la modernité. La lycéenne Katia Bengana, assassinée à 17 ans, le 28 février 1994 à Meftah, est le symbole de la résistance de la femme algérienne au projet mortifère islamo-wahabite.
Cent vingt écrivains, artistes peintres, poètes, chanteurs, dramaturges, journalistes, et autres intellectuels militant pour la vie, la liberté et l’égalité de la femme et de l’homme, ont rendu hommage dans deux livres collectifs, chacun à sa manière, à Katia Bengana. Elle avait dit : ‘’ Non au voile ! De quelque religion qu’il soit ! Si je devais, pour mon plaisir, porter une tenue traditionnelle, ce sera la robe de ma mère ».
Les deux livres collectifs consacrés à cette héroïne abattue à la sortie de son lycée peuvent être classés comme de grands documents au service des universitaires, sociologues, anthropologues et autres analystes des phénomènes de violence sociale en général, et de la criminalité religieuse en particulier. Ils sont parus, à quelques semaines d’intervalle durant le printemps 2018 regroupant de belles plumes engagées contre le voile, outil et symbole d’asservissement de la femme.
« Katia Bengana, la lycéenne qui a nargué l’islamisme »
Le premier livre coordonné par Allas Di Tlelli a pour titre « Katia Bengana, la lycéenne qui a nargué l’islamisme » est édité par les Editions La pensée ! Il regroupe 54 textes et poésies, précédées par une importante analyse de l’auteur sur l’histoire du voile, et son usage depuis son apparition à nos jours. On y trouve des témoignages poignants comme celui de Rachid Bengana, le père de Katia qui n’arrive toujours pas à faire son deuil, ou celui de Houria Zouani Zanoune, la mère d’Amel Zouani, étudiante de 22 ans, descendue d’un bus et égorgée sur la route, ou encore le récit déchirant de Lynda Yaiche, dont l’époux fut assassiné dans un faux barrage tendu par des islamistes. On y lit également de profondes analyses comme celle de l’anthropologue Tassadit Yacine ou celle du Suisse Yves Scheller, des cris de détresse, des dénonciations sans équivoque de l’intégrisme en formes de poèmes ou de fines proses qui feront date. De nombreux poètes ont créé des textes portant leur luttes quotidiennes contre la bêtise et la deshumanisation des religieux qui ordonnent le crime et contre les esprits lobotomisés qui exécutent la vile et basse besogne
Eternelle Katia
Le second livre coordonné par Rachid Oulebsir, préfacé par Amin Zaoui, est paru aux éditions Afriwen en Juin 2018. Il porte le titre sobre « Eternelle Katia ». Nous lisons en quatrième de couverture : « (…) Ce livre-hommage fait partie des outils collectifs de réparation et d’élaboration du deuil incontournable pour Katia et celles qui ont été éliminées pour les mêmes raisons qu’elle. Il se veut un cri de la société consciente contre l’oubli, un témoignage du rejet populaire du monstrueux projet wahabite. La mémoire ne peut supporter le voile de mélancolie qui recouvre sa famille et son pays ».
Outre la brillante préface d’Amin Zaoui consacré au rapport entre le costume et l’identité, on y trouve de belles plumes de la nouvelle génération comme Sarah Haider, Linda Chouiten, Sid ali Kouidri Filali, Amina Mekahli, Farid Mammeri, Asia Baz, des journalistes consacrés comme Nassira Belloula, Nadjib Stambouli, des poètes engagés comme Ben Mohamed qui a écrit le texte de Vava Inouva chanté par Idir, la Tunisienne Fatima Maaouia, des textes en arabe de Hadda Hazem, d’Ahcène Moudache et des témoignages en Tamazight de Malek Houd, Djamel Laceb, Djamel Arezki, Mohand Amrouni, et beaucoup d’autres contributions de haute volée dénonçant la pensée intégriste, comme le psychologue Hamid Salmi, ou le pédagogue, Ahmed Tessa. Une dizaine de peintres et de dessinateurs de BD, tels Mustapha Ghedjati, le calligraphe Metmati, Djamel Bouali, Nordine Saidi, le portraitiste parisien Zitoun Kerkaden, le caricaturiste de Charlie Hebdo, Ghilas Ainouche, ont contribué dans ce livre avec des toiles dénonçant dans une fine esthétique le crime religieux. Nous lisons en couverture : « Nous sommes 63 auteurs à contribuer à cet ouvrage en quasi parité femmes /hommes et en trois langues. Tous les apports reçus, des analyses d’une extrême lucidité, des poèmes d’une profonde tendresse et des toiles et dessins d’une esthétique universelle, sont dédiés à Katia Bengana, symbole agissant et modèle de résistance pour les générations à venir.
Le constat du décès
Le 27 mars 1997 , la sureté de la daïra de Meftah dressa un certificat de décès dans lequel est décrit l’assassinat de Katia comme suit : « La défunte a été assassinée par deux personnes inconnues armées, en date du 28-02-1994 à quatorze heures trente près de son domicile suscité , où elle a reçu une balle dans la tête de calibre 12 mm et une autre en pleins poumons ,desquels elles est décédée et elle a été transportée à l’hôpital de Meftah où elle a été déposée à la morgue »
Une mise en garde est mentionnée dans un encadré en bas du certificat en ces termes : « La défunte a été assassinée par deux terroristes, lesquels ont été assassinés en date du 18-03-1994, à savoir Defaf Rachid et Ain Alouane Kamel ».
Pour mémoire
Le 28 février 1994, Katia Bengana sortie du lycée, se dirigeait vers le domicile familial accompagnée par une camarade. A quelques cent mètres de sa maison, deux jeunes apparurent au coin de la rue avec un fusil à canon scié. Ils firent signe à la camarade de Katia de s’en aller. Katia se retrouva seule face aux deux inconnus. L’assassin vida son arme sur elle. Le constat de police enregistre deux impacts de balles, l’un à la tête, l’autre à la poitrine, tandis que le rapport du médecin légiste en note trois. Durant les mois de janvier et février 1994, treize femmes ont été assassinées, certaines par balles, d’autres égorgées, par la horde wahhabite pour imposer la terreur en Algérie, et répandre le modèle islamo-intégriste dans le pays le plus disposé à la modernité.