Portrait: Rachid Aliche, premier romancier en Tamazight Par Rachid Oulebsir
Rachid Aliche, romancier au long souffle, portait en lui la déchirante poésie de Si Mohand Ou Mhand et la fidélité à la matrice culturelle kabyle de Mouloud Feraoun. Il muait naturellement du poète au pédagogue avec la détermination et la patience de Mouloud Mammeri, et revêtait le burnous du conteur des entrailles avec la classe de Jean Amrouche et la folie de Kateb Yacine. Il y a cinq jours, il aurait eu 67 ans ! Rachid Aliche est le premier romancier en Tamazight après l’indépendance.
« La parole et l’écrit sont indissociables », me disait –il. Il avait compris que sans la maitrise de l’oralité point d’écriture et sans écrit la parole allait disparaitre. Il opta, comme pour ressusciter Belaid At Ali, pour la littérature, mais aussi pour l’apprentissage de la langue par la parole, le son, à travers des émissions didactiques spécialement destinées à l’enfance ! C’est tout un symbole !
Né en Kabylie, à Tagmount Azzouz, sur les collines d’At Douala, le 7 Avril 1953, il fait partie de ces rares personnes chargées d’empathie et du besoin vital de communiquer , expliquer , persuader , transmettre ! Il nous avait suffi de deux rencontres fortuites en France pour nous comprendre et aller rapidement dans nos préoccupations essentielles : Comment sauvegarder notre littérature orale Amazighe, nos riches parlers kabyles ? Comment transmettre aux jeunes géné-rations les trésors que nous ont confiés nos mères, nos pères, nos ainés ?
Premier romancier en Tamazight après l’indépendance, il nous a quittés le 18 mars 2008 à l’âge de 55 ans en homme accompli, créateur, artiste, homme de radio, ciseleur du verbe et magicien de la parole.
Faire renaitre Tamazight : la vraie indépendance
Après Belaid At Ali, il fut le premier à croire à l’universalité de Tamazight, à la nécessité de passer à l’écriture pour fixer la mémoire, capitaliser les survivances culturelles qui ont échappé à l’usure du temps et de l’adversité des affrontements culturels coloniaux. Armé de la pédagogie atavique du conte et de la narration innée en dehors de toute linéarité , en dehors des contingences du temps et de l’intrigue facile , il était moderne dans sa pensée et sa création.
Nous nous étions entendus rapidement sur l’essentiel, il fallait passer à l’écrit, mettre avec les premières règles établies par Mouloud Mammeri, sur papier la mémoire des anciens, l’héritage que le temps nous a transmis, toute notre sensibilité, nos mots de tous les jours, nos sonorités, nos pleurs, nos joies, nos créations que l’usure du vent effaçait du tableau de l’humanité.
Gardien du burnous collectif
Je n’ai pas la faculté de parler aux morts ! Mais Rachid Aliche n’est pas mort, son âme est parmi nous ! Aujourd’hui Rachid At Moussa, c’est toi, c’est moi. Il est en nous, sa présence ne fait aucun doute. Dans nos croyances anciennes, dans l’imaginaire cosmogonique kabyle, les âmes des êtres chers reviennent nous visiter chaque fois que nous évoquons leur parcours, les sacrifices qu’elles ont consenties pour la communauté. Les âmes deviennent des mânes, des gardiens invisibles du burnous collectif. Comme Dda Lmouloud et tous les créateurs qui ont voué leur vie à la sauvegarde de notre patrimoine ancestral, de notre mémoire torturée, de notre histoire millénaire, Rachid est le gardien des valeurs universelles de nos ancêtres, de la Kabylité dans son fond et non uniquement dans ses formes. Il a brisé les tabous et ouvert les portes de l’impossible, éclairé le sentier obscurci par l’histoire et la volonté mortifère d’un pouvoir jacobin promoteur de la pensée unique, rétrograde et intégriste. Il a construit de solides ponts sur le fleuve du temps, des gués entre les deux rives du monde, entre l’obscurité et la lumière, entre le passé et l’avenir, entre nos particularismes et la culture universelle.
J’ai le même prénom et le même âge que Rachid , le destin ou le hasard ont fait qu’il décède le 18 Mars , alors que je suis né un 18 Mars, je me sens comme redevable d’une continuité , d’un lourd viatique , d’un héritage que je dois porter à mon tour et continuer l’œuvre de cet homme que la vie n’a pas gâté .
La quête identitaire inassouvie
L’œuvre de Rachid Aliche est une quête identitaire inassouvie. L’auteur de « Asfel » et de « Faffa » avait opté pour une littérature de l’urgence , peu lui importait le style, la tournure, la forme, seul le contenu primait, le message pesait dans sa lutte contre le temps, contre l’oubli et l’inertie générale. Il avait l’art de distinguer rapidement l’essentiel de l’accessoire, aller à la pulpe sans s’attarder à l’écorce, palper et tester la substance extraite de son récipient. Il avait à sa façon tranché sur la question amazighe, il fallait agir et l’écriture et la parole étaient ses outils, ses instruments, il avait compris que sans la maitrise de l’oralité point d’écriture et sans écrits la parole allait disparaitre. Contre cette menace d’extinction de notre verbe , il opta comme pour ressusciter Belaid At Ali, pour la littérature, mais aussi pour l’apprentissage de la langue par la parole , le son, à travers des émissions didactiques spécialement destinées à l’enfance ! C’est tout un symbole. Il était dans l’esprit de la reconstruction de ce que les colonisations successives ont détruit, œuvre coloniale de déracinement que l’école algérienne s’évertuât à continuer de sorte à enterrer définitivement toute trace de l’Amazighité .
Asfel ; Le sacrifice rituel
Rachid avait le sens de la formule pour dire sa pensée profonde : « Tamazight est en danger de mort, si on ne bouge pas, nous connaitrons la mort absurde des Aztèques » m’avait-il confié dans une station de métro à Lyon. Il était homme à faire ce qu’il disait. Son parcours à la radio Chaine 2, démontre si besoin était, cette unité entre la pensée et l’engagement concret , militant, pour Tamaziɣt , cette cause identitaire inséparable de notre destin » .
Dans son roman emblématique « Asfel », une œuvre poétique dense d’écriture moderne , Rachid refuse que l’âme de nos ancêtres soit l’objet du rituel sacrificiel pour exorciser une malédiction ! Il part à la quête de notre identité à travers un amour impossible, à la reconstruction de l’unité brisée , de la mémoire dispersée , de l’identité diluée . Armée d’ une symbolique locale , le roman , à la Kateb Yacine , sans ancrage dans le temps matériel , accède dans son thème, la quête de soi et de l’unité dans la diversité, à l’universalité des valeurs
Faffa ; le chant de la perte de soi
Dans son second roman « Faffa » consacré au déracinement et à la perte dans l’exil, Rachid est en même temps, Adarwic, le fou dont a besoin la société pour dire les vérités crues sans artifice sans détours inutile , Amɣar Azemni , le sage éternel qui porte la mémoire et l’histoire de la Kabylité, Taqvaylit , et Ilemzi un jeune homme porteur de l’avenir prometteur . L’unité de ce triangle de la condition de l’être kabyle avalé par l’exil , se reconstitue dans la principale valeur de la Kabylité le partage du pain et de l’amour ‘’Tagula d lemlaḥ’’ »
Rachid avait l’étoffe d’un grand créateur ! Il avait senti venir les mutations douloureuses pour notre génération et sans doute indolores pour les jeunes générations coupées de notre matrice identitaire par une école meurtrière , une vision uniciste et jacobine de la culture.
Une œuvre majuscule
Il vivait pour Tamazight plus que pour tout autre projet , il avait la force inébranlable de croire en ce qu’il faisait et de faire ce qu’il croyait ! Notre devoir est d’honorer sa mémoire, de faire connaitre son œuvre, de continuer le travail avec les moyens technologiques conséquents d’aujourd’hui.
Je ne sais pas parler aux morts, mais Rachid Aliche n’est pas mort, son âme est parmi nous aujourd’hui Rachid c’est toi, Rachid c’est moi !
Son apport à la littérature amazigh est incontournable. Il était également producteur d’émissions pour enfants et de cours de langue berbère à la Chaîne II algérienne. Il est décédé le 18 mars 2008 à Alger. Il a laissé pour viatique pour la jeunesse deux romans Asfel et Faffa , parus respectivement en 1981 et 1986 , une pièce de théâtre ‘’ Tasinfunit’’ parue aux éditions Awal , un manuel d’initiation à Tamazight( lecture-conversations)destiné à la prime enfance , une compilation de nouvelles et de textes de critiques littéraires publiés dans la presse algérienne , une cassette audio accompagnée d’un livret de textes chantés à but didactique destiné à l’enfance
Un hommage à la hauteur de son génie
Rachid ALICHE, romancier au long souffle, portait en lui, la déchirante poésie de Si Mohand Ou Mhand dont il avait appris tous les poèmes comme des sourates de bénédiction ! Il avait la fidélité à la matrice kabyle de Mouloud Feraoun auprès de qui il apprit à penser en Kabyle et écrire dans d’autres langues . Il muait naturellement du poète porteur d’oracle au pédagogue minutieux avec la détermination et la patience de Mouloud Mammeri .Il revêtait à l’occasion le burnous du conteur des entrailles avec la classe de Jean El Mouhoub Amrouche et la folie de Kateb Yacine . Il y a cinq jours, il aurait eu 67 ans ! Chaque année Tagmount Azzouz, son village natal, lui rend hommage par l’organisation d’une semaine culturelle en son honneur, pour perpétuer sa mémoire, célébrer son esprit créatif engagé pour la culture des ancêtres. Des expositions, des conférences, des pièces de théâtres, des chants, des rencontres d’auteurs, convoquent l’imaginaire ancestral si bien défendu par Rachid At Moussa.
Diplômé en physique-chimie, diplômé de littérature, parlant l’Allemand et plusieurs autres languesà coté de sa langue maternelle ,le kabyle qu’il maitrisait à merveille dans ce qu’elle recelle d’antique et de moderne , Rachid Aliche est né le 7 Avril 1953 à Tagmount Azzouz dans la commune d’ At Mahmoud (At Douala) en haute Kabylie. Il est le premier romancier en Tamazight post-indépendance.