Pour lever toute suspicion sur les procès en cours: Bouteflika doit être jugé
Le procès en appel de l’affaire dite du montage automobile a ceci d’intéressant que le cas du président de la République déchu, Abdelaziz Bouteflika, a été évoqué par des accusés qui ont longtemps été ses hommes de main, les deux anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia.
Non seulement les deux ex-chefs de l’exécutif lourdement condamnés en première instance revendiquent leur innocence en prétextant n’avoir été que des exécutants chargés par Bouteflika de mettre en œuvre son programme, mais ils ont surtout affirmé que rien de ce qui se faisait ne lui a échappé. Si Ahmed Ouyahia n’a fait que le suggérer, Abdelmalek Sellal, pour sa part, a carrément demandé sa présence à la barre.
Cette sortie prend une importance et une dimension remarquables, en particulier parce qu’elle intervient dans une enceinte judiciaire, le Tribunal d’Alger-Centre, alors même que le débat sur la nécessité ou non de juger le président déchu fait rage au sein de l’opinion publique. Voilà donc que son propre camp le charge et répond sans ambages à la question.
A mesure que les investigations avancent et que les affaires sont jugées, des révélations qui sidèrent les Algériens sont faites quant aux pratiques mafieuses instituées en mode de gouvernance, aux détournements de l’argent public à des niveaux qu’on ne pouvait imaginer et à la généralisation de la corruption et du clientélisme, avec d’incroyables indus avantages au profit d’une caste privilégiée qui s’est même laissée transformer en « pouvoir extraconstitutionnel ».
Ainsi, des fortunes acquises frauduleusement en puisant dans les fonds publics ont servi à leurs bénéficiaires à s’installer dans une position d’oligarques qui font et défont des situations, de pénétrer le cœur du pouvoir et d’organiser la jonction et l’amalgame entre argent et politique. On en voit certains aujourd’hui, face aux juges, évoquer des milliards de dinars comme un épicier évoquerait de vulgaires bonbons.
Tout a alors été dévoyé au vu et au su de tous. En particulier, des mandats de député se sont vendus comme de vulgaires marchandises, presqu’à la criée, tout comme des postes de sénateur, donnant un coup mortel à un Parlement dont la crédibilité était déjà sujette à caution depuis la fraude massive de 1997 au profit du RND, puis régulièrement au profit du FLN depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir.
Tout cela, et bien d’autres choses encore, tout aussi répréhensibles et préjudiciables au pays, le président déchu ne l’ignorait pas. Non seulement il ne l’ignorait pas, mais il l’aurait favorisé, voire ordonné et organisé, si l’on s’en remet à une interprétation logique des propos des deux anciens Premiers ministres à la barre du Tribunal d’Alger.
Ainsi, d’évidence, celui qui refusa d’être « un trois-quarts de président » est non seulement au cœur du système dont les Algériens demandent le démantèlement depuis un peu plus d’une année, mais aussi l’architecte d’une bonne partie de ce même système.
A ce titre, et parce que sa comparution est souhaitée y compris dans son propre camp désormais, la justice devrait impérativement l’inviter à s’expliquer. Non seulement son audition permettrait de lever des zones d’ombre, mais elle ouvrirait aussi, sans aucun doute, des pistes insoupçonnées jusqu’ici.
Dans tous les cas, un tel procès s’impose de plus en plus et l’institution judiciaire devrait en prendre conscience, car le contraire serait incompréhensible pour l’opinion publique et la suspicion pèserait alors durablement sur les actions en cours qui pourraient être interprétées comme une manœuvre destinée à noyer le poisson en désignant sélectivement des coupables.
M.A. Boumendil