Prières dans les mosquées : le tabou religieux plus fort que la logique sanitaire et le bon sens
Alors que l’épidémie du coronavirus continue de se propager et que les pouvoirs publics multiplient les décisions préventives radicales telles que la fermeture des établissements scolaires et universitaires, le gel de toutes les compétitions sportives, l’arrêt des liaisons aériennes et maritimes avec plusieurs pays touchés par la pandémie ou encore la fermeture des restaurants et d’autres espaces publics dans la capitale, le ministère des Affaires religieuses s’est illustré par une non décision sur les prières dans les mosquées qui laisse pantois.
Dans un communiqué publié dans la soirée d’hier, à l’issue d’une réunion de la commission ministérielle de la Fatwa, le ministère prend pourtant la mesure de la gravité de la situation puisqu’il évoque d’emblée « des mesures à prendre, du point de vue religieux, face à cette pandémie qui menace la vie des Algériens et de l’humanité entière ».
« Du point de vue religieux, il faut respecter les mesures préventives prises, en évitant la fréquentation des lieux publics tels que les stades, les espaces commerciaux et autres espaces publics », souligne le communiqué, qui prend bien soin de ne pas citer les mosquées parmi ces lieux publics à ne pas fréquenter dans ces circonstances, mais rappelle qu’il faut « éviter les déplacements et les voyages non indispensables pour éviter la contamination ».
Les femmes discriminées même dans le malheur
Les mosquées ne sont pas à l’abri des dangers de ce virus, reconnaît tout de même le ministère, qui décide en conséquence que « la présence des enfants, des femmes et des personnes âgées et malades, est interdite dans les mosquées lors de la prière du vendredi et autres prières collectives ».
De même, ajoute le communiqué, « il est interdit à toute personne qui doute de sa contamination par cette maladie ou présentant des symptômes similaires comme la grippe ou le rhume, de venir à la mosquée ou de fréquenter les gens. Les salles de prières réservées aux femmes ainsi que les bibliothèques des mosquées seront fermées ».
Le ministère souligne enfin que « les imams doivent alléger les prières et les accomplir directement après l’Adhan et fermer les mosquées juste après la fin des chaque prière » et leur demande « de suspendre toutes les activités » accessoires de la mosquée.
Le prêche et la prière réunis « ne doivent pas dépasser 10 minutes de façon à ne pas mettre en danger la santé des fidèles », est-il indiqué par le communiqué qui préconise aussi « d’éviter la prière dans les espaces publics comme les gares routières, les espaces commerciaux et autres ».
Des demi-mesures qui défient le bon sens
De prime abord on constatera que le département des Affaires religieuses reconnaît parfaitement la légitimité et le bien-fondé des recommandations et des interdits promulgués par son homologue de la Santé, sur la foi d’avis scientifiques. Il appelle même à les respecter. Mais alors, pourquoi ce qui est valable dans un stade, une école, une salle des fêtes ou un restaurant ne le serait-il pas pour une mosquée, d’autant plus que ledit ministère avoue qu’une mosquée n’est pas plus à l’abri de l’épidémie que n’importe quel autre endroit confiné et fréquenté ?
Ce n’est pas la seule interrogation ni la seule remarque qu’appelle le communiqué rendu public hier soir, d’autant plus que des pays comme l’Iran, le Qatar, l’Arabie Saoudite et, plus près de nous, la Tunisie, ont pris des décisions radicales ne souffrant d’aucune ambiguïté à ce sujet.
On y trouve même des dispositions absurdes, discriminatoires et condamnables comme celle qui ordonne la fermeture des salles de prière pour femmes, et uniquement pour femmes. Sur quelles données scientifiques est donc fondé cet interdit sélectif et discriminatoire qui désigne quasiment la femme, toujours diabolisée, comme un vecteur privilégié de la pandémie ? Une telle décision est récusée par la science, condamnée par le bon sens et contraire aux lois de la république.
Plus surréaliste encore, l’autorité en charge des Affaires religieuses « interdit » aux personnes qui doutent de leur contamination par le virus de se rendre à la mosquée. Sachant qu’une interdiction n’a de sens que s’il existe des mécanismes de sa mise en œuvre, par quel procédé divinatoire ou magique peut-on donc identifier les personnes qui « doutent » de leur contamination pour les empêcher d’accéder à la mosquée et les embarquer à l’hôpital ?
C’est avant la prière qu’il faut fermer les mosquées, pas après !
Le ministère demande par ailleurs aux imams d’écourter les prières collectives, y compris celle de vendredi, de sorte à ce qu’elles ne dépassent pas 10 minutes, prêche compris. Quand bien même tous les imams se conformeraient à la recommandation, a-t-on idée du temps nécessaire à l’installation des fidèles qui arrivent souvent très à l’avance pour s’assurer d’une place aus premiers rangs et qui sont des centaines dans de nombreuses mosquées ? De même, a-t-on pensé au temps nécessaire à l’évacuation de l’enceinte ?
L’imam est enfin appelé à fermer la mosquée, une fois la prière terminée ! Non Monsieur le ministre, non Messieurs du ministère : c’est avant la prière qu’il convient de fermer les mosquées, pas après !
Face à une épidémie capable, si elle n’est pas circonscrite, d’engendrer un désastre sanitaire avec de graves conséquences économiques et sociales, alors que dans d’autres secteurs des mesures drastiques ont été prises, l’attitude du ministère des Affaires religieuses est l’exemple même de la fuite des responsabilités.
De qui ou de quoi a-t-on peur ? A qui veut-on faire plaisir en mettant en péril la santé des Algériens et en danger le pays tout entier ? A moins que ce soit un choix fait au nom d’une idéologie meurtrière, qui a déjà mis le pays à feu et à sang dans un passé très récent. Dans tous les cas, l’intervention des plus hautes autorités du pays est requise car les enjeux sont colossaux et le danger incommensurable.
M.A. Boumendil