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Home›A la une›Reportage: «Il n’y a pas de pays sans paysans»    Par Rachid Oulebsir

Reportage: «Il n’y a pas de pays sans paysans»    Par Rachid Oulebsir

Par Algérie infos
17 mai 2020
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C’est le temps des foins, une durée  fébrile pour les paysans ! Après trois années de sécheresse, le prix du fourrage a atteint l’inacceptable ! Élever du bétail coûte trop cher. Du coup, les viandes  sont devenues inaccessibles pour les bourses moyennes ! Ces derniers mois, le ciel a été généreux, les paysans s’attèlent à faire le reste : engranger le maximum de fourrages pour relancer les élevages et la production de viande. La terre fera sa toilette en deux semaines. On fauchera d’abord les prairies naturelles, avant d’entamer la fenaison des grandes surfaces semées de vesce-avoine. C’est le magique ballet des faucheuses, des botteleuses et des manieurs de faucilles et de faux à l’ancienne.

Les 14 journées « Nnissan »

Dans cet immense triangle isocèle d’une cinquantaine de km de coté,  au climat capricieux, réputé pour ses élevages ovins et caprins, se touchent cinq wilayas, Tizi Ouzou au nord,  Bouira à l’ouest, Msila au sud, Bordj au sud est et Bejaia à l’est. Les fellahs entament  la course contre  la montre des  « Journées  Nnissan » du calendrier agraire qu’ils consultent encore pour se rassurer et se redonner de l’identité. Aujourd’hui jeudi 14  mai, nous sommes  dans la deuxième semaine de « Nissan », durée du calendrier agraire d’Afrique du Nord marquée par les pluies orageuses contreproductives (Aman ouzliguen). Ces averses surviennent à l’improviste et perturbent les travaux des champs, notamment le fauchage et le ramassage des foins.

Les plaines de Bouira sont réputées fertiles, la terre y est rose et généreuse, les paysans  ont encore gardé les métiers et les traditions. Sur les vastes plaines de Mlawa, nous assistons au ballet des faucheuses, des tracteurs à râteaux et des botteleuses, et sur les coteaux et les collines  le paysage est marqué par l’activité fébrile des manieurs de faux, de fourches et de faucilles  et des transporteurs de foin et d’herbe fraîchement coupée. Nous roulons vers la Haute Soummam, une vallée où le mélange des populations donne une richesse et une diversité culturelle porteuse de la renaissance paysanne. Dda Mestafa, le vieux paysan est nostalgique : « Nous étions des centaines de paysans accomplis, alignés sur la plaine immense, face aux vagues d’épis bronzés à la chevelure noire et mordorée, flottant et murmurant dans le vent. Nos faucilles brillaient sous le soleil ardent. Nous travaillions en chantant des complaintes adultes, des chants à l’honneur de la terre généreuse. Nous tracions des andins (Tirni) harmonieux et les champs de céréale nous semblaient infinis. Le porteur d’eau sillonnait la prairie pour étancher notre soif » ainsi parle Dda Mestafa , évoquant sa jeunesse, passée entre les blés et les jujubiers de la haute vallée de Ladjiba .Malgré la forte nostalgie du vieux paysan, qui sent le mode de vie de son enfance changer à une vitesse vertigineuse, le machinisme n’a pas eu raison de tous les métiers manuels qui composent le riche patrimoine de la paysannerie locale.

Les faucheurs des hautes plaines

Le fourrage a été rare durant ces trois dernières  années. Après  deux ans de forte séche-resse, l’hiver de 2020 arriva précocement, pratiquement en automne et les  paysans n’ont pu finir les semailles avant les fortes pluies et les chutes de neige. De nombreux champs sont restés en jachère. De nombreux paysans ont vendu leurs bêtes à des prix dérisoires, les bouchers ont en profité. Les cheptels ainsi décimés n’ont pu être reconstitués, ce qui se fit ressentir sur le marché des viandes, c’est encore la flambée des prix.

Nous arrivons au grand carrefour de maillot. Ils sont là à attendre ! La faux sur l’épaule, un sac de petits outils et de victuailles en bandoulière,  les paysans des hautes plaines intérieures de Msila et du sud de Bouira viennent dans la vallée de la Soummam au début de l’été proposer leurs bras et leur savoir faire. Ils se font, à l’occasion, bûcherons, manutentionnaires, rarement puisatiers mais plutôt faucheurs de foin, d’orge et de blé. La fenaison est leur domaine, là leur compétence est avérée.

On les trouve tôt le matin au carrefour de Maillot, au croisement de la grande route de l’est, la RN 5, et la RN 26 qui mène vers le golfe de Bougie. Ils attendent avec leurs outils, faux, faucille, hache, scie, d’hypothétiques offreurs d’emploi. Avant la fenaison, à défaut de faucher du foin, ils se contentent de charger des remorques de sable dans l’oued Sahel ou de décharger des camions de brique pour les marchands de matériaux de construction

De nombreuses activités se sont maintenues, transmises de père en fils comme de précieux viatiques hérités des aïeux. Elles survivent comme travaux d’appoint  à côté la haute productivité des machines modernes. Le travail des faucheurs illustre bien cette situation. A côté des faucheuses et des botteleuses automatiques, le manieur de la faux et de la faucille a encore sa place. Le relief tourmenté souvent en forte pente, ne permet pas l’accès aux machines, même les plus petites. La dimension souvent réduite des propriétés, due à la parcellisation des grands domaines familiaux conséquente aux héritages successifs, n’offre aucune chance au développement du machinisme. Les contraintes objectives concourent paradoxalement au maintien et à la sauvegarde de savoirs faire empiriques qui forment des terroirs en singularisant  l’identité de nombreuses régions.

Les coteaux verruqueux du Hodna

Je prends en auto-stop, un homme  d‘âge mûr portant un gros sac d’outils. Il se présente comme ancien agronome spécialisé dans l’horticulture, il travaillait dans la Mitidja à produire des belles fleurs pour les Algérois. Il a repris en gérance un domaine du coté de Chorfa, avec l’espoir de lancer la production de fleurs pour les villes de Sétif et Bejaia. En attendant les hypothétiques financements, il travaille les terres familiales à l’ancienne.  Il se plaint d’emblée de la malchance et d’une mauvaise  appréciation de la paysannerie par les pouvoirs publics : « Nous avons beaucoup perdu ces dernières années  avec la rigueur des canicules et des hivers courts mais féroces avec leurs gelées et leurs vents. Après les incendies des étés torrides, les fortes gelées que la mémoire collective a enregistré une seule fois en 1945, ont ravagé nos récoltes, nos serres, nos arbres, nos ruches, nos poulaillers, nos bergeries. Nous avons demandé des aides, des indemnisations, aucune main secourable ne vient nous relever. Nous reprenons notre courage et nous nous remettons au travail. Nous avons beaucoup à rattraper »  explique Amirouche, le téméraire horticulteur, converti à la production intensive de fourrage.

Au sortir des monts ferreux des Bibans, à la croisée des plaines verruqueuses du mystérieux Hodna, on se dirige vers la luxuriante vallée de la Soummam. Après Tachwin Mlawa, deux  pitons jumeaux comparés par une légende locale au buste d’une ogresse, des mamelons moutonnent à perte de vue avant de céder à la platitude du relief entre Bechloul et Ahnif. Un halo verdoyant s’impose puis se dissipe à l’approche d’un immense tapis végétal dominé par l’olivier et les impressionnantes pinèdes du Djurdjura. Sur ce trajet, d’une cinquantaine de kilomètres, nous croisons des dizaines de tracteurs tirant des faucheuses, des botteleuses ou des remorques garnies de foin. Mais aussi de vieux camions chargés de hauts volumes de bottes verdâtres qui ahanent en fumant dans les côtes et les virages.

Les berges du  Sahel, principal affluent de La Soummam, se prolongent par de vastes plaines colonisées par des oliveraies ombrageuses, de vastes jardins de maraîchages et d’arbres fruitiers et quelques champs de céréales. Sur toutes ces surfaces des herbes folles ont poussé à la faveur du long hiver pluvieux et enneigé. Les fellahs se prennent tôt, cette année pour entamer la fenaison et débarrasser la plaine des pacages spontanés et libérer le sol pour les labours de fin de printemps préparatoires des géorgiques et du jardinage d’été. Il y va de leur survie. L’Etat aide les plus riches .Les petits paysans qui maintiennent les milliers de savoir-faire  et la diversité culturelle du pays se sentent abandonnés :

Solidarité mal ordonnée

 « L’état efface des dettes cumulées qui se chiffrent en milliards pour des travailleurs  de l’industrie, des services, du tourisme et autres secteurs qui n’ont rien produit durant des décennies. Le paysan lui, qui alimente le marché de ses fruits et légumes, des richesses bien palpables,  n’est jamais aidé même quand la nature s’acharne sur ses cultures ! Voilà une  vision bien singulière de la solidarité nationale ! » Dit le secrétaire général de Tazerajt, l’association des paysans de la daïra de Tazmalt qui regroupe trois communes. Et d’ajouter : « Avec son ineffable fierté, le fellah se remet au labeur, croyant seulement en ses propres forces. Le secteur bancaire ignore ce qu’est le crédita de campagne. Que ce soit pour les labours semailles, la récolte des foins ou pour la cueillette des olives ou encore pour les moissons. Le paysan continue à fonctionner à l’ancienne. Heureusement que les circuits et les reflexes culturels paysans fonctionnent encore. »

Les dernières pluies de printemps appelées « Nissan » dans l’almanach berbère se terminent en principe vers le 16 mai, pour laisser la place aux sept journées vertes « Izegzawen » durant lesquelles mûrit l’avoine (Tazekount), la vesce (Ahvach) et la sauge (Elvechna). La fenaison, ou récolte des foins, commence vers le 18 mai, après les pluies ultimes de Tafsut. La prairie fera sa toilette en deux semaines, celle des journées vertes et celle des sept journées jaunes (Iwraghen) telles que mentionnées dans le calendrier agraire des amazighs. Cette année les paysans ont pris une semaine d’avance, pour rattraper le retard cumulé par la longueur exceptionnelle de l’hiver et un début de printemps pluvieux à l’excès.

La terre est débarrassée des plantes fourragères, des herbes sauvages, des touffes d’épineux, de toute végétation qui, durant le printemps a recouvert en un tapis bariolé les sols rougeâtres et bruns de la haute plaine, et les ocres coteaux des contreforts montagneux.

Les maraîchers ont besoin de tous les terrains disponibles pour démarrer les jardins d’été. Toutes les herbes doivent disparaître pour laisser place aux légumes, éviter les maladies crées par les insectes et les champignons. Depuis le 20 avril, dernier jour d’Aheggan, la période d’instabilité atmosphérique bien connue, du calendrier des fellahs, les jardiniers ont donné la mesure. Les plantations de poivrons, les serres de tomate, les carrés de pastèque et de courgettes strient et découpent la plaine en figures géométriques variables, une maquette grandeur nature que les champs de foin dérangent encore.

 

Après la fenaison, démarrent les grands travaux d’été. Les paysans se réservent entièrement pour la récolte des fourrages. Toute journée perdue augmente le risque de perte. Les orages de grêle, les pluies  torrentielles  du mois de mai sont ruineux pour le maigre budget des fermiers. Tôt le matin, armés de faux apprêtées, les faucheurs professionnels de la haute vallée aidés de recrues passagères arrivées du Hodna et de Bouira, coupent des millions de tiges d’avoine sur lesquelles ont grimpé des variétés nourricières comme la vesce (ahvach), le liseron (asmatal), la moutarde des champs (achnaf), la chicorée (tifaf), le falaris (tighlelt), le chardon (assenan) et autre coquelicot (wahrir).Ils forment des andins qui seront retournés à la fourche pour accélérer le fanage et le séchage.

Sourciers, puisatiers, forgerons, et autres faucheurs

Avec la reprise en mains des vergers par une jeune génération de fellahs instruits, décidés de marier les techniques modernes avec le viatique des savoirs locaux empiriques hérités de la culture des ancêtres, de nombreux métiers entament leur renaissance  avec des formes parfois différentes mais dans l’esprit originel  caractérisé par la suprématie de l’homme sur l’outil. Sourciers, puisatiers, maçons, forgerons, et autres faucheurs survivront tant que leur utilité sociale et économique est avérée. Ainsi est faite la dure loi de l’évolution humaine.

La haute plaine d’Allaghane, qui surplombe la rive gauche du Sahel à l’ouest de la commune d’Akbou, est une véritable fourmilière en ce mois de mai. La fenaison est une durée fébrile. Tout le monde est affairé. Les faux sont affûtées, les faucilles aiguisées et reforgées, les lames des faucheuses remplacées, les rouleaux de fil de fer sortis des entrepôts, les fourches des greniers à outils. Aucun appareil n’est oublié.

Les hommes, les femmes et les enfants vont  reproduire en famille, trois semaines durant, les gestes connus, maintes fois répétés comme dans un rituel religieux.

Plusieurs métiers qui vivaient de la fenaison ont périclité avant de disparaître. C’est le cas des fagotiers qui montent les meules, des forgerons qui fabriquent les faux et les faucilles artisanales, les vanniers qui tissent les nattes de jonc et d’alfa pour protéger les meules.

La fourmilière humaine

De nos jours le foin fauché disposé en quenouilles, en gerbes, ou en rangées est ramassé mécaniquement par la botteleuse tirée par un tracteur. Il est concassé, coupé et lié en bottes parallélépipédiques pesant entre trente à quarante kilogrammes. Ce ramassage est possible là ou peut passer la machine. Dans de nombreuses parcelles plantées d’arbres fruitiers, le recours à la sortie du fourrage vers un endroit accessible, contraint le paysan au montage de meules provisoires. Les monteurs de meules sont de nos jours remplacés par les ouvriers du bottelage. Couverts de chapeaux de paille, le nez sous un foulard pour se protéger des vannures (Takka), poussières provenant du broyage du foin et du mouvement de la machine, les ouvriers agricoles pressés par le temps mènent un combat difficile de l’aube au coucher. La crainte des orages et du retour inopiné du froid ajoute une touche de stress à la fébrilité générale.

Les faucheurs travaillent à la journée. Ils sont engagés pour de petites périodes, payées entre 2000 à 2500 DA pour 10 heures de besogne harassante.  Certains préfèrent le contrat à la tache. On négocie de gré à gré la coupe d’une superficie et le délai de livraison du foin prêt au bottelage. C’est une pratique que se réservent les plus habiles, les vieux paysans expérimentés qui engagent  à leur tour une main d’œuvre moins qualifiée et moins rémunérée, ou alors s’aventurent vers les contrées du sud de Bordj-bou-arreridj pour ramener une main d’œuvre moins exigeante.

Le foin est coupé de trois manières. A la faucille (Amgar), là ou l’herbe n’est pas haute, dans les prairies naturelles qui ont poussé spontanément sans semis, sous les arbres et dans les petites parcelles. A la faux, (Alouach) là où la machine n’a pas accès dans les vergers où les arbres sont en rangées serrées, enfin à la barre de coupe (El-mouss) ou à la faucheuse tractée dans les grandes prairies semées d’avoine ou de vesce-avoine, fourrage fortement nourricier préféré par les éleveurs de la haute Soummam, région allant de Sidi-Aich à l’est jusqu’à la plaine de Maillot délimitée par Assif-Assemad, la rivière froide, dévalant des fortes pinèdes du Djurdjura, au nord et par Assif-Amarigh, rivière aux eaux salées venant des hautes plateaux bordjiens.

Un savoir faire pointu

« Le foin était autrefois monté en meules, (Athemou) recouvertes de diss (Adless), une plante ligneuse que nous cherchions des hautes montagnes des At-Melikeche, cette plante est d’ailleurs utilisée par les charpentiers dans la couverture des toitures des mas et des chaumières » explique le paysan Aissa, grand faucheur devant l’éternel !

Il est onze heures ce jeudi 10 mai. Aissa range déjà son attirail. Après un léger repas fait de galette et de lait caillé, Il prendra un repos réparateur pour éviter les chaleurs du zénith (Azal).  Il nettoie, depuis une semaine, une prairie naturelle (Assouki) dans une plantation de jeunes poiriers, irrigués au « goutte à goutte ».

Il doit en plus de la vigilance ordinaire, que nécessite le maniement de la faux, éviter de couper les fins tuyaux de plastique qui courent entre les arbres.

« De nos jours on n’érige plus de meules durables. Cette opération pénible est facilitée par le travail des râteaux et des botteleuses. Le fourrage est plus aisément engrangé en bottes dans les hangars » argumente Aissa Lekhchine.  Mestafa, l’auguste fellah de Bahalil, regrette « Nous travaillions dés les premières lueurs du jour à la préparation de l’aire de battage (Anar), les javelles (Tadla) et les gerbes de blé s’y entassaient comme des colliers de métal précieux. Les mulets, les bœufs  et les chevaux battaient (Asserwet)  la céréale en attelages pairs, des heures durant sous le soleil de plomb. Nettoyer (Assisrou), séparer le bon grain de l’ivraie (Akourfa) se faisait dans l’après-midi avec la levée du vent propice (El-âoun) qui venait de la Méditerranée (Avahri). Toute cette vie est partie. Les machines ont facilité  le travail mais elles déshumanisent toutes les activités, il n’y a plus ni chaleur, ni convivialité, c’est le règne du métal » conclut le vieux montagnard.

Dans la réalité rien n’a changé malgré la forte nostalgie de la vieille génération paysanne. Faucher le foin est toujours aussi difficile. N’est pas faucheur qui veut ! Manier une faucille exige des précautions, couper l’herbe avec la faux est encore plus dur.

Mokrane a pris un champ de vesce-avoine pour la moitié de la récolte.  Il devra couper toute la superficie à la faux et parfois à la faucille à l’approche des petits arbres. Il démarre après la dissipation de la rosée matinale. « Il faut que les tiges soient assez chaudes pour rendre la coupe plus facile » dit-il en battant la lame de sa faux sur l’enclume (Zebra) plantée en pleine terre, de son maillet (Tafdhist), frappant avec mesure et précision le fil de la faux (Alouach) pour lui constituer le tranchant nécessaire (Leqdaâ). Affûter une faux à l’ancienne est un art que quelques rares paysans maîtrisent encore, la dernière touche est donnée à la pierre tendre ou carrément à l’émeri (Elmilaq).

 « Choisir la pierre (Amessad), la manier sans abîmer le tranchant de la lame, et sans se couper les doigts relève d’une compétence qui s’acquiert avec le temps. C’est à ces petits gestes que l’on reconnaît les hommes du métier » affirme El-hassen l’incontournable détenteur de fragments épars de la mémoire régionale, ajoutant « les vrais faucheurs ne cèdent jamais à la tentation d’utiliser la lime (El-mevred) pour aiguiser leur faux. La lime fait gagner du temps mais dévore carrément la lame. Le novice se trouve contraint d’acheter une faux pour chaque saison des foins, ce qui n’est pas à son avantage car la petite merveille ne coûte pas moins de 8000 DA »

Au marché du fourrage

Le fourrage sec de l’an passé est épuisé, le foin de cette saison n’est pas encore rentré. Le Djurdjura perdu ses dernières neiges. La fenaison n’a débuté qu’en plaine, les monta-gnards prendront encore quinze jours. Cette transition durant laquelle la terre fait sa mue est dénommée «  temps de soudure » par les éleveurs.  En attendant les résultats de la grande toilette de la prairie qui mobilise toutes les forces paysannes humaines et maté-rielles, les commerçants spéculateurs, maîtres des marchés et spécialistes des techniques de stockage et de rétention des marchandises  font flamber les prix, distillent le fourrage et les autres aliments du bétail au compte goutte portant les prix à des hauteurs jamais atteintes. Certains éleveurs sont poussés à la faillite  en l’absence d’un fonds étatique de régulation. Sur les principales  places commerciales de la vallée de la Soummam, de vieux camions qui roulent encore à « la baraka de Dieu » portent de volumineuses  charges de fourrage, altéré, jauni par les pluies et les mauvaises conditions de stockage, dégageant des odeurs de rance et de moisi. De rares camionnettes portant du foin fraîchement coupé se hasardent sur les marchés .Leur butin est immédiatement acquis au prix fort par des commerçants qui entendent maintenir leur monopole sur l’offre de fourrage.

La paille (Alim) d’un très faible apport alimentaire, autrefois réservée à la literie des bovins, des chevaux, des mulets et des ânes, se vend, rareté oblige, à 800 DA la botte ! L’herbe spontanée (Assouki) prélevée dans les vergers arboricoles  et les pacages  qui pousse sans aucun frais, ni labours ni semailles, est vendue entre 1000 et 1200 DA la botte de 20 kg. L’avoine (Tazekount) est rare. Elle est rétrocédée en troisième main à 1400, voire 1500DA la botte de 25 kg. La vesce (ahvach) à forte valeur nutritive est introuvable.

Les éleveurs complètent habituellement l’alimentation de leur bétail par du grain, de l’orge principalement (Timzine). Cette céréale tant convoitée est cédée à 950 DA le double décalitre (Guelba). Le blé (Irden) déconseillé pour ses effets de fermentation est généralement concassé et mélangé à très petites doses à la fève (Ivawen) comme complément alimentaire des vaches laitières. Cette céréale se trouve à 1000 DA le double décalitre de 17 kg, soit 7000 DA le quintal !Les éleveurs recourent pour l’engraissement des bêtes destinées à l’abattage à l’utilisation de l’aliment à base de maïs (Aguetoch) fabriqué de manière industrielle et vendu selon la composition entre 4500 et 5000 DA le quintal. Ils mélangent également  des doses d’orge à des quantités de son de blé acheté auprès des fabricants d’aliment pour bétail à 2800 DA le quintal.

« Tant qu’il y aura des vaches ! »

Les bonnes chaleurs de cette semaine arrivent à point au secours des éleveurs et des bergers. Avec les grandes quantités d’eau emmagasinées par le sol durant l’hiver tardif, l’herbe pousse à grande vitesse au grand bonheur des paysans qui trouvent de la nourriture gratuite pour leurs bêtes. Les bouviers, notamment ceux qui  possèdent des vaches laitières, ont d’importants  besoins en aliment vert. Ils fauchent toute l’herbe qui leur tombe sous la main. Prévoyants, ils passent des accords à l’orée de chaque printemps avec les propriétaires de vergers arboricoles qui sont contraints de nettoyer leurs jardins avant les labours de printemps préparatoires aux maraîchages d’été. Les bêtes raffolent de cette herbe des prairies naturelles, variée, composée d’une multitude d’espèces, de la guimauve (Mejir) au coquelicot (wahrir) en passant par la folle avoine (Azekoun), les pâquerettes (wamlal), le chiendent (Affar), la bourrache (Iles-ouzgar) et autre liseron (Asmatsal).

Dans cet échange qui relève des anciennes solidarités paysannes, tout le monde trouve son compte : le jardinier retrouve son verger nettoyé, l’éleveur gagne une nourriture gratuite pour son bétail et le nombre de victimes des spéculateurs qui mettent le feu aux prix diminue de façon significative.  Le métier de faucheur survit dans cette région conquise par l’arboriculture. «Tant qu’il y aura des vaches, nous aurons besoin d’herbe. Le savoir faire du faucheur se transmettra entre générations. L’élevage structure à sa façon plusieurs métiers. Il convient de comprendre l’articulation des métiers de la paysannerie pour décider des priorités dans l’investissement. Ce n’est pas  toujours le cas des actions inscrites dans le plan national de développement agricole (PNDA) » affirme un éleveur adhérent de l’association Tazerajt.

Avec la reprise en mains des vergers par une jeune génération de fellahs instruits, décidés de marier les techniques modernes avec le viatique des savoirs locaux empiriques hérités de la culture des ancêtres, de nombreux métiers entament leur renaissance  avec des formes parfois différentes mais dans l’esprit originel  caractérisé par la suprématie de l’homme sur l’outil. Sourciers, puisatiers, maçons, forgerons, et autres faucheurs survivront tant que leur utilité sociale et économique est avérée. Ainsi est faite la dure loi de l’évolution humaine. De nombreuses activités manuelles, comme le tissage manuel (azeta), la poterie (fedraq), la mouture de condiments (izid) aussi belles les unes que les autres, ont disparu. Elles sont entrées dans la légende. Nous les évoquons  pour enrichir nos histoires dans de longs articles. Nous les ressuscitons  avec de l’encre noire dans des linceuls de papier blanc.

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