Semoule: les moulins du populisme Par Rachid Oulebsir
Des distributions non maitrisées de semoule se sont produites à l’échelle nationale, dans la seconde quinzaine du mois de mars, aux portes des unités de production, et sur les places publiques. Malgré le contexte sanitaire et les mesures prises à l’échelle centrale, l’improvisation a pris le dessus sur le bon sens, exposant au coronavirus des milliers de personnes et mettant en danger le corps soignant aux avants postes du combat contre la pandémie Covid-19. Que cette malheureuse expérience puisse servir d’exemple à ne pas suivre !
Les réseaux de solidarité font leurs preuves
Donnant le spectacle humiliant d’attroupements portant atteinte à la dignité humaine, négligeant l’évolution sanitaire alarmante dans laquelle évolue le monde entier, et que les pays à système sanitaire fragile comme l’Algérie n’ont pas les moyens de contrecarrer si le confinement de la population n’est pas respecté, les distributions de semoule ont constitué un indicateur du manque de conscience à divers niveaux, au niveau des centres de décision où l’acte a précédé la réflexion et au niveau du citoyen où l’affolement exprime la hantise du spectre de la pénurie. Cette opération populiste est une expérience à méditer !
Le pays a beaucoup régressé ! Au temps le plus noir du parti unique (crise de 1986-87), le peuple avait inventé des procédés modernes de prise en charge. La semoule avait été distribuée dans les écoles suivant les listes des parents d’élèves, avec un calendrier par ordre alphabétique. Nous avons observé aujourd’hui certaines APC, tentées par la récupération politique de la solidarité, s’adonner à la distribution de semoule par leur propre personnel, créant les conditions favorables à l’attroupement et la transmission du virus ! Elles sont vite revenues à la raison, répondant aux appels de personnes avisées et des animateurs du mouvement associatif qui ont capitalisé les expériences positives des crises passées. Ces Assemblées ont pris la mesure du danger et sont revenues à des dispositifs éprouvés. La distribution fut confiée aux associations de quartier, dont les animateurs connaissent les résidents. Les conditions de confinement ont été ainsi respectées et la population est approvisionnée à domicile. Le conditionnement en sacs de 10 kilos est adapté à la situation. Par ailleurs, la médiatisation du danger de l’opération distribution publique ne s’est pas faite au bon moment. Les boulangeries travaillent normalement et le pain ne manque pas. La possession de plusieurs sacs de semoule chez soi, n’est donc pas une condition pour le confinement. Les medias ont à se saisir de cette malheureuse expérience de distribution populiste de semoule pour appeler à la vigilance et au respect du confinement.
Le courrier du ministère
Pourquoi cette méfiance vis a vis des commerçants ? Pourquoi les circuits habituels n’ont pas été laissés à leur fonctionnement normal ? Quitte à les doubler par des réseaux de solidarité qui dissipent la pression sur les prix. Le ministère du commerce réagit en date du 6 avril, pour réhabiliter ces circuits traditionnels de distribution. Un courrier ( n° 747 / 2020 ) de son secrétariat général est adressé aux neuf directeurs régionaux du commerce, leur intimant l’ordre d’informer les 48 directeurs de wilayas pour qu’ils interdisent la vente directe de semoule à la population au niveau des minoteries. La lettre signée du secrétaire général dit en substance : ‘’ Au vu du constat de terrain de l’opération vente directe de semoule à la population par les unités de production, et pour éviter toute propagation du Virus Corona, je vous demande d’informer les unités de production de votre wilaya de cesser immédiatement ce type de procédé. A cet effet, je vous demande de renouer avec les méthodes habituelles de distribution qui s’appuient sur les réseaux du commerce de gros et de détails. Que cette directive soit appliquée sans délai »
Les conséquences constatées
Le mal était fait. Les travailleurs du secteur et les centaines de clients ont été exposés à la menace du virus d’une part et d’autre part l’image de l’Etat a pris un sérieux coup ! Une opération ordinaire de vente d’un produit, fut-il indispensable et de large consommation, voulue comme un geste de lutte contre la spéculation sur les prix, et une solidarité concrète du secteur public productif envers les catégories sociales les plus démunies, donna lieu à une lecture politique parce qu’elle a exposé des milliers de personnes au risque de propagation du coronavirus dans des conditions de regroupement et d’attroupement mal anticipées . Cette negligence a fait de premières victimes !
Le ministre du commerce Kamel Rezig s’est fendu récemment d’un communiqué sur sa page Facebook où il informe qu’ ‘’ Un groupe de fonctionnaires du secteur de Khenchela chargés de la distribution de la semoule a été contaminé par le Corona ‘’ ajoutant ‘’ cela s’est produit lors de l’accomplissement de leur mission ».
Cette tragédie vient conforter l’avertissement des médecins qui insistent sur le confinement et les mesures de distanciation sociale et des pratiques d’hygiène pour juguler la pandémie Covid-19 et protéger le corps soignant en général, qui nous protège sur le premier front de la pandémie. Dans ce contexte de pandémie tirant vers son pic, toute opération, de quelque nature qu’elle soit, publique ou familiale, provoquant le regroupement de personnes voire l’attroupement devra être considérée comme une menace pour la sécurité du personnel hospitalier et de la population en général .